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fait remarquer qu’il y avait dans la chambre beaucoup d’émigrés et beaucoup de fonctionnaires, ce qui expliquait peut-être l’indemnité aux émigrés et le zèle gouvernemental de la chambre. Voyez cet homme au visage imperturbable et au maintien imposant monter lentement à la tribune, et écoutez-le : «… De ce qu’il y a beaucoup d’émigrés dans notre assemblée, le journaliste conclut que l’indemnité a été votée dans des intérêts personnels ; et de ce qu’il y a beaucoup de fonctionnaires il conclut que la chambre protège beaucoup les commis… Je crois, moi, que les émigrés qui siègent dans cette chambre ont été mus par des considérations supérieures à leur intérêt personnel ; il me plaît ou il m’appartient de le croire, mais ni la raison ni la morale ne m’en font un devoir. De même je crois que les fonctionnaires conservent leur indépendance dans cette chambre ; mais je ne suis obligé ni de le croire ni de le dire… La prudence commune, cette prudence aussi ancienne que le genre humain, enseigne que la situation particulière des hommes détermine leurs intérêts, et qu’il faut s’attendre trop souvent que leurs intérêts déterminent leurs actions. Là où le contraire arrive, il y a de la vertu ; la vertu seule opère ce miracle. Je le dis donc hautement, je le dis avec l’autorité de l’expérience universelle, il a fallu de la vertu aux émigrés pour se préserver de leur intérêt personnel dans le vote de l’indemnité ; il faut de la vertu aux fonctionnaires, et une vertu sans cesse renaissante, pour rester indépendant dans la chambre. Quel est maintenant le crime du Journal du Commerce ? C’est uniquement d’avoir jugé la chambre sur les apparences, comme juge la prudence, comme juge l’histoire ; c’est d’avoir cherché et trouvé l’esprit qui l’anime dans la loi ordinaire du cœur humain plutôt que dans la loi extraordinaire de la vertu… Je vous demande, messieurs, si un peuple peut être condamné à ne jamais trouver que de la vertu dans ceux, qui le gouvernent ! » — Royer-Collard avait pour les Pensées de Pascal la plus profonde admiration ; il est à croire qu’il ne négligeait pas les Provinciales

Instinctivement ce qu’on approuve et ce qu’on aime dans les institutions politiques et, en général, dans les établissemens humains, c’est ce que d’une certaine façon on est soi-même, c’est ce dont on a en soi le caractère : Royer-Collard a aimé et il a curieusement cherché partout des pouvoirs limitateurs, parce qu’il était un pouvoir limitateur, lui-même, à lui tout seul, et qu’il se sentait tel. Peu fait pour le gouvernement, et évitant soigneusement d’en faire partie, il était tour à tour contre les empiétemens du gouvernement, de la chambre, de la foule, une barrière solide, monumentale et terriblement hérissée. Il a rempli cet office, qui est