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d’alliés, ayant à des une France dont les intentions étaient suspectes, aurait eu contre elle l’Allemagne du Sud, l’Autriche et la Russie.

Ce qui dans cette affaire le surprit et le chagrina, ce fut la ruse de son roi qui désirait la paix autant que lui, mais qui s’arrangea pour lui laisser toute la responsabilité d’une décision dont la Prusse devait s’indigner. Le 2 novembre 1850, dans la séance du conseil, Frédéric-Guillaume se prononça nettement pour la politique de résistance et de fierté et pour une mobilisation immédiate de l’armée, et il mit ses ministres en demeure de déclarer incontinent s’ils étaient disposés à le suivre dans cette voie périlleuse. Mais il s’empressa d’ajouter que, si, à l’exemple du comte Brandenbourg, le ministère désirait poursuivre les négociations à Vienne sans mobiliser, il se ferait un devoir de se soumettre au vote de la majorité. Cette manœuvre parut étrange. Frédéric-Guillaume IV avait affirmé plus d’une fois que dans les cas décisifs, les souverains par la grâce de Dieu sont inspirés d’en haut, et il avait dit en 1844 à M. de Bunsen : « Vous avez tous de bons sentimens et vous êtes des hommes d’action ; mais il y a des choses qu’un roi seul peut savoir et que moi-même j’ignorais quand je n’étais que prince royal. »

A quelques jours de là, une fièvre accompagnée de délire emportait le comte Brandenbourg. Cet événement inattendu frappa les imaginations. La Prusse humiliée se dit : « Il ressentait mon affront, et il en est mort, » et elle vit en lui le martyr de son honneur outragé. Après tout, cette perte n’était pas irréparable ; on remplace facilement un éléphant qui a besoin d’un cornac. L’Autriche, tout au contraire, essuya un vrai désastre, dix-huit mois plus tard, lorsqu’elle perdit tout aussi subitement le prince de Schwarzenberg, dont la constitution avait été usée tout à la fois par l’excès des plaisirs et par des débauches de travail. Le soir du 5 avril 1852, il devait assister à un bal où il comptait rencontrer une femme qui lui était chère et à qui il avait dit : « J’irai si je ne suis pas mort. » Dans la journée il lui envoya un bouquet, et après avoir donné plusieurs audiences, il faisait sa toilette quand il tomba pour ne plus se relever. L’Autriche avait eu le bonheur de posséder quelque temps un de ces hommes d’État qui savent prévoir et vouloir. Quelques années après, ce fut à la Prusse qu’échut cet inappréciable avantage, et les destins s’accomplirent.

On ne peut douter, après avoir lu les trois premiers volumes de l’Histoire de la fondation de l’empire allemand, que ce livre important ne soit jusqu’au bout plein d’intérêt et fort instructif ; mais il est permis d’ajouter qu’il en faudra lire certaines parties avec un peu de défiance. M. de Sybel a toutes les qualités du véritable historien, sauf la suprême impartialité, le parfait dégagement d’esprit ; il n’est pas de ceux dont la signature est une valeur de toute sûreté et de tout repos.