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des mouvemens inattendus et parfois un cantique de catéchisme au lieu d’un hymne païen. La scène, en outre, paraît un peu longue et monotone : une demi-heure de clair de lune, de psalmodies, de processions et de cérémonies sacrées, c’est beaucoup, d’autant plus que déjà le second acte de Sigurd s’ouvrait par une liturgie analogue et plus grandiose. La divinité qu’on adorait n’était pas la même, je le sais. M. Reyer le sait mieux encore, et je reconnais qu’il a donné au culte de Phœbé une couleur mélodique et orchestrale plus douce et plus féminine qu’à la religion d’Odin. Le tableau néanmoins, par sa composition générale, par l’ordre même des épisodes, rappelle inévitablement le précèdent et fait un peu l’effet d’une seconde épreuve atténuée. Pour les acteurs comme pour les exécutans, un bis est toujours dangereux.

Les idées, et les idées heureuses, abondent ici. Le rideau se lève sur un prélude de cors, exposé tout seul comme le prélude de Parsifal, et suivi également d’arpèges qui semblent l’envelopper d’un nimbe. M. Reyer, pour obtenir cet effet vaporeux, s’est servi de gammes roulantes de harpes assez originales ; au loin, adoucis et veloutés par la distance, retentissent de beaux appels des trompettes sacrées. J’ai moins aimé certaine ascension lente et chromatique des violons, qui montent jusqu’à de périlleuses hauteurs et prennent là une sonorité trop mince et trop perçante. Quant à la cantilène du grand-prêtre : Sors des flots, déesse éclatante, bien posée, bien déduite et bien achevée, elle fait un digne pendant à l’invocation d’un autre grand-prêtre, celui de Sigurd : Et toi, Freia, déesse de l’amour.

La marche religieuse a beaucoup de caractère. Elle suit une progression tonale dont les degrés servent d’échelons à la progression de toute la scène. Les différens motifs hiératiques se combinent ou plutôt se succèdent : le pontife déploie le zaïmph au-dessus des prêtres et des bayadères à genoux ; il dit avec solennité le pouvoir magique du voile, les maux où sa perte plongerait Carthage et le péril de mort pour quiconque oserait le toucher. Cependant, Mathô, guidé par un esclave, a pénétré dans l’enceinte sacrée ; cachés derrière un buisson de roses, tous deux contemplent le zaïmph qu’ils viennent dérober, et leur dialogue se mêle aux homélies, aux prières, sans que la vérité de la déclamation nuise à la beauté musicale de l’ensemble. On frappe à la porte du temple ; c’est Salammbô ; le grand-prêtre demeure seul avec elle. Excellent et du plus noble style, le duo qui s’engage entre eux. Veuillez, je vous prie, excuser ce vieux mot de duo : il me paraît encore le meilleur pour désigner tout entretien en musique de deux personnages, que ceux-ci chantent ensemble ou chacun à son tour. Ici, ils ne chantent que de cette seconde manière ; mais qu’importe, puisqu’ils chantent de larges récits, de belles phrases à la fois mélancoliques et expressives, qui rendent avec autant de poésie que de simplicité la