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presse ou plutôt contre la presse pour la défense du régime ? C’est depuis quelque temps, surtout depuis les dernières crises et les élections, une sorte de mot d’ordre. Il y a au Palais-Bourbon une proposition pour fortifier la répression des journaux. Ces jours derniers à peine il y a eu, au Luxembourg, une discussion aussi savante qu’animée sur une motion semblable proposée par un brave modéré, M. Marcel Barthe. L’objet est toujours le même : il s’agit de faire passer un certain nombre de délits de presse de la juridiction du jury à la police correctionnelle. La raison est aussi toujours la même : c’est le déchaînement outré et offensant de la presse. Assurément, depuis quelques années, les journaux se sont livrés à d’étranges excès. Ils ont répandu sous toutes les formes l’outrage, l’injure, la calomnie, la diffamation, sans respecter ni le rang, ni les services, ni les intérêts privés, ni les intérêts publics, ni le gouvernement, ni les hommes. C’est malheureusement vrai ; mais, d’abord, si ces excès ont été possibles, qui donc la voulu ? Lorsqu’il y a dix ans, les républicains, tout gonflés de leurs succès et de leur fortune, ont voulu faire leur loi sur la presse, ils n’avaient pas assez de dédains pour toutes les lois anciennes, pour les lois de 1819, pour celles de 1830. Ils prétendaient dépasser tout le monde par leur libéralisme et prouver que la république seule pouvait supporter une liberté complète. On avait beau les avertir qu’ils se préparaient des mécomptes : ils n’ont rien écouté, ils ont fait leur loi de 1881, qui a tout permis. Aujourd’hui, on est un peu honteux et repentant. On ne l’avoue pas de peur d’être suspect de palinodie et de paraître renier ce qu’on a toujours défendu. On a recours à des euphémismes. Oh ! ce n’est pas la liberté de la presse qu’on veut diminuer, — c’est la diffamation qu’on veut atteindre par un tout petit changement de juridiction ! On oublie seulement que ce qu’on appelle la juridiction c’est ce qui a toujours passé pour la vraie garantie de la liberté de la presse.

Encore si, dans un sentiment supérieur de bien public, avec la préoccupation des dangers auxquels les excès des journaux peuvent exposer les intérêts les plus élevés, on proposait une révision sérieuse et réfléchie du régime de la presse, ce serait une œuvre digne de tenter des esprits prévoyans. En réalité, ce qu’on propose, c’est une mesure de circonstance, une apparence de réforme décousue, limitée, une manière de rendre, particulièrement aux fonctionnaires, la garantie de la police correctionnelle, et de pouvoir dire qu’on a maintenu la loi de 1881. Bref, c’est un expédient de répression ou de combat, et les expédiens de ce genre ne sont pas plus efficaces que les invalidations de parti ou les rigueurs à l’égard d’un prince généreux, pour raffermir une situation ébranlée. La police correctionnelle n’est qu’une défense insuffisante et même compromettante. C’est la politique de dix ministères qui a fait le mal, et, ainsi que l’a dit, dans la discussion récente