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façon la « clé de la maison. » Et de fait, par des traités écrits du bout de l’épée, la politique de conquête a obtenu ce qu’elle voulait. Elle a eu son glacis, son territoire, ses forteresses ; elle a eu la clé de sa maison et du même coup la clé de la maison d’autrui. Elle a fait de l’Alsace-Lorraine une sorte de « marche » où l’Allemagne pout désormais déverser ses forces, appuyée à ses deux ailes sur Metz et Strasbourg, formidablement armées, devenues les puissans soutiens d’une foudroyante offensive toujours possible. Trahie par la fortune, la France, si elle ne voulait rester, avec sa frontière démantelée et ses trouées béantes, livrée aux fatalités des invasions, a donc été obligée de suppléer à ce qu’elle n’avait plus, de se refaire une cuirasse. Elle a réussi, autant qu’elle le pouvait, à reconstituer, dans les positions qui lui restaient, une première ligne défensive, une barrière. L’art a été d’établir de Belfort à Montmédy, par Épinal, Toul, Verdun, une sorte de chaîne de sûreté, places ou camps retranchés, en limitant et en commandant les issues inévitablement laissées à l’invasion. Il en est résulté cette situation saisissante et redoutable, — encore bien inégale pour les vaincus, — où, sur une étendue de près de 300 kilomètres, de la Suisse au Luxembourg, la France et l’Allemagne se trouvent front contre front, respectivement rangées derrière des frontières qui ne sont point invulnérables, qui ne seraient toutefois, de part ni d’autre, faciles à pénétrer. Les Français ne pourraient faire un pas sans se heurter contre les masses allemandes flanquées de Metz et de Strasbourg. Les Allemands, à leur tour, ne pourraient s’avancer sans avoir à forcer des positions et des passages hérissés de fer et de feu.

C’est un fait que l’Allemagne et la France se trouvent en force sur les Vosges et sur la Meuse ; en ce moment même, l’Allemagne vient d’augmenter ses forces d’un corps d’armée de plus en Alsace-Lorraine, et la France à son tour a augmenté le nombre de ses régimens à l’abri des défenses artificielles qu’elle s’est créées. C’est aussi un fait que, si les deux nations doivent éprouver quelque difficulté à s’aborder directement par une attaque de frontière, il y a aux deux extrémités de leur ligne des zones libres par où elles peuvent tenter de se frayer un chemin, de se tourner mutuellement pour faire tomber leurs défenses. Les Allemands, par habitude ou par tactique, accusent la France de méditer sans cesse des conquêtes ou des violations de territoires. La France, avec bien plus de raison, peut montrer la prépondérance allemande savamment organisée, s’imposant ou s’insinuant