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droit survivant d’occupation que l’Europe se serait réservé à titre collectif aurait pu passer en héritage à une seule des puissances sans l’aveu et à l’exclusion des autres. Ce ne serait manifestement que le droit de la force ! Passons, écartons les fictions, les subterfuges d’une diplomatie par trop captieuse. Le danger pour la neutralité belge n’est pas dans un protocole dix fois périmé qu’on pourrait à l’occasion tirer de la poussière des archives, il est dans la situation tout entière, telle que les événemens l’ont faite pour l’Allemagne et pour ses voisins.

Le vrai danger est dans cette prépotence créée par la guerre, qui presse et cerne un petit pays, qui agit sur tout ce qui l’entoure par son propre poids, par ses menaces ou ses captations, par ses ingérences avouées ou clandestines, par un besoin irrésistible d’extension et de suprématie. Et qu’on le remarque bien, avec la Belgique c’est toute cette zone occidentale de l’Europe qui reste exposée à être absorbée dans la sphère germanique. Le Luxembourg, depuis qu’il a été détaché de l’ancienne confédération, a été déclaré neutre : c’est son état légal depuis 1867 ; mais à la mort du roi Guillaume de Hollande, à qui il appartient encore, il passe à un prince allemand, au duc de Nassau, et la neutralité du grand-duché n’est plus qu’un mot. Il y a mieux : la Hollande elle-même n’est point à l’abri du danger, depuis que, par la disparition du Hanovre et de la vieille organisation germanique, elle se trouve directement en contact avec le teutonisme armé et tout-puissant. La Hollande est pour l’Allemagne nouvelle une tentation par ses côtes, par ses ressources maritimes et commerciales, par ses opulentes colonies, par les bouches du Rhin, sur lesquelles le germanisme se croit des droits, et les Hollandais émus pour leur sécurité ont suivi le mouvement universel : ils se sont crus obligés de renouveler leurs défenses de l’Yssel, d’augmenter leurs forces militaires[1]. C’est la suite évidente de cette révolution d’équilibre

  1. La prévision d’une « guerre prochaine » où ils pourraient être impliqués sans le vouloir préoccupe les Hollandais autant que les Belges. Tout récemment, un ancien officier d’artillerie de l’armée hollandaise, M. Tindal, a écrit un ouvrage et fait des conférences qui ont excité le plus vif intérêt ; il a même, si nous ne nous trompons, adressé un mémoire aux chambres sur les dangers auxquels pourrait être exposée la Hollande. M. Tindal a développé sous toutes les formes cette idée que, dans le cas d’une guerre, l’Allemagne, qui n’a qu’un seul chemin de fer d’accès sur la Belgique, serait conduite à se servir des voies ferrées qui passent par la Hollande. Il ajoute que, dès l’ouverture des hostilités, l’Allemagne mettrait le cabinet de La Haye dans l’alternative de signer un traité d’alliance ou d’être considéré comme ennemi, qu’elle procéderait infailliblement comme elle a fait en 1866 avec le Hanovre, à qui elle ne laissait qu’un délai de six heures. Il en concluait que la Hollande devait aviser à sa défense, si elle ne voulait pas être foulée aux pieds et même être exposée à un bombardement de La Haye, qu’il considérait comme possible. Ces conférences ont vivement ému le monde militaire et politique en Hollande.