Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi à la France, qui n’a jamais refusé de négocier avec elle de nouveaux arrangemens. Le fait est que, la première émotion apaisée, les choses en sont restées là, que la Suisse a traversé des crises sérieuses comme celle de 1870 sans avoir à souffrir dans son indépendance, sans se croire obligée d’exercer son droit d’occupation militaire dans les territoires neutralisés.

On ne peut se dissimuler néanmoins que la question reste entière, — d’autant plus délicate qu’elle peut se réveiller à tout instant comme elle s’est réveillée il n’y a pas longtemps encore à propos de quelques travaux entrepris par la France sur le Mont-Vuache pour mettre à l’abri le fort de l’Écluse, — qu’elle peut être aussi perfidement exploitée par des passions étrangères pour exciter la Suisse contre la France[1]. Plusieurs fois déjà, entre Berne et Paris, il y a eu des négociations manifestement engagées avec les intentions les plus conciliantes ; elles n’ont pas réussi, ou du moins jusqu’à présent elles n’ont réussi qu’en partie : les dernières sont de 1888[2]. La difficulté peut être épineuse, elle n’est point sans doute insoluble, à ne voir que les intérêts essentiels des deux pays. Que la Suisse, dans le sentiment de son indépendance et d’une impartiale neutralité, tienne à ne pas laisser affaiblir ses droits, même là où elle est le moins menacée ; qu’elle veuille pouvoir faire face de toutes parts sur la frontière de Savoie comme sur ses autres frontières, rien certes de plus simple, et la France pour sa part, dans les négociations qui ont été suivies jusqu’ici, lui a bien prouvé par des actes précis, par des déclarations renouvelées, qu’elle n’entendait pas se dérober à ses obligations. Il n’est pas douteux, d’un autre côté, que la France est intéressée à n’être pas prise au dépourvu sur un des points les plus vulnérables de ses frontières, qu’elle a le droit de se préoccuper d’une situation où une puissance nouvelle qui tient les revers orientaux des Alpes, qui est liée à une autre puissance nouvelle maîtresse du nord, peut porter en vingt-quatre heures ses avant-gardes d’Aoste aux défilés du Valais, dans la vallée supérieure du Rhône. C’est là le nœud de la difficulté. La solution qui pourrait concilier ou sauvegarder tout serait peut-être que la Suisse réalisât son projet

  1. On peut consulter à ce sujet une brochure, — le Don Droit de la Suisse sur les provinces du nord de la Savoie, — qui a paru à Leipzig en 1886, et qui a été publiée évidemment avec intention. Cette brochure, sous prétexte de défendre le « bon droit de la Suisse, qui n’est point attaqué, ne tendrait à rien moins qu’à placer la confédération dans l’alternative de perdre les avantages de la neutralité ou de se servir de ses droits en Savoie pour prendre une position qui serait un acte d’hostilité contre la France.
  2. Voir les Souvenirs politiques du docteur Kern, qui a longtemps représenté, comme on sait, la Suisse en France avant et après la guerre de 1870.