Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les places encore détenues par les garnisons autrichiennes. Or de toutes les opérations de guerre, aucune ne répugne plus que les longs travaux de siège, à la vivacité du tempérament français. Nulle part plus que dans la tranchée, officiers et soldats ne se livrent volontiers aux murmures, au découragement, à l’indiscipline. Maurice ne savait qu’inventer pour tromper l’agitation stérile et bruyante des nobles auxiliaires qu’on lui avait donnés.

« Je vois, écrivait-il à son ami Folard, qui s’étonnait de la lenteur et de l’hésitation de ses premiers mouvemens, que nous pensons de même sur ce qu’il y avait à faire après l’abandon que les ennemis avaient fait de leur position derrière le Nethe, et je n’y aurais pas manqué si j’avais été seul.., mais je ne sais si vous savez ce que c’est qu’une armée de cour et tous les inconvéniens qu’elle entraîne. Je détache de cette armée quarante bataillons et cinquante escadrons pour faire l’investiture de Mons. Ce siège se fera sous les ordres de M. le prince de Conti, dont Dieu bénira les inspirations. Quant à moi, je compte me tirer d’affaire, je ne dis pas avec peu, car cette armée est encore formidable, mais couvrir les places que nous avons conquises et empêcher qu’on interrompe le cours de nos progrès, ne laisse pas que de faire une opération considérable. Quant à la politique, je n’en parlerai pas, gens plus habiles que moi s’en mêlant[1]. »

Et presque à la même date, il écrivait au roi de Prusse, qui lui demandait, tout en le comblant d’éloges, de lui expliquer la timidité de ses opérations. — « Ce n’est pas par amour-propre, mais par obéissance que j’ai l’honneur de me conformer aux ordres que Votre Majesté veut bien me donner, et que je vous rends compte, sire, des opérations de l’armée qu’il a plu à Sa Majesté très chrétienne dénie confier… Votre Majesté sait bien que le parti militaire est toujours soumis à la politique. Aussi je me flatte que Votre Majesté ne m’attribuera pas les fautes qui pourront être faites pendant le cours de cette campagne[2]. »

Il fallait donc essayer de prévenir cet ennui du repos forcé que Frédéric, on l’a vu, regardait comme si dangereux pour une armée française, mais plus nuisible encore pour une armée de cour que pour tout autre. Ce fut dans cette pensée que Maurice imagina

  1. Saxe à Folard, 5 mai 1746. — (Ministère de la guerre.) — Frédéric dit dans l’Histoire de mon temps : « La présence du roi et de ses ministres fut un surcroit d’embarras pour 16 comte de Saxe et une charge pour l’armée. Les courtisans remplissaient le camp d’intrigues et contrecarraient les desseins du général. Le général et une cour aussi nombreuse demandaient chaque jour dix mille rations pour les chevaux et les équipages. »
  2. Le maréchal de Saxe à Frédéric, 19 mai 1746. — (Lettres et mémoires du maréchal de Saxe, t. III, p. 200.)