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que causaient sa retraite et la sotte prétention qui la motivait, fut reçu à Versailles avec tous les égards ordinaires. Le roi ne lui témoigna aucun déplaisir, et on sut bientôt que Mme de Pompadour, loin de lui en vouloir, se montrait satisfaite qu’en faisant cesser de lui-même la division du commandement en Flandre, il eût ôté au roi le motif qu’il donnait habituellement pour se montrer pressé d’y retourner[1].

À ces sourdes intrigues qu’il soupçonnait, Maurice fit la meilleure des réponses. Quinze jours n’étaient pas écoulés que le prince de Lorraine, après quelques essais d’attaques aussi timides qu’infructueux, se sentant coupé de la Hollande et craignant d’être enveloppé, se décidait à passer la Meuse avec armes et bagages, et à sortir de Flandre par la porte du Luxembourg. Le siège de Namur pouvait commencer sans courir risque d’être interrompu.


II

Il y avait plus d’un motif, d’ailleurs, pour que le retour de Conti, tout en donnant lieu à quelques commentaires, passât à peu près inaperçu à Versailles. Deux événemens imprévus, arrivés coup sur coup, y mettaient tout en rumeur. Les couches de la dauphine, dont l’attente avait motivé le retour du roi, avaient eu lieu dans les circonstances les plus douloureuses. A peine la princesse avait-elle donné le jour à une fille qui ne devait pas vivre, qu’on recevait la nouvelle de la fin subite du roi d’Espagne, son père ; Philippe V succombait à une attaque d’apoplexie qui l’avait frappé dans son lit, à côté de la reine, sans qu’il eût un instant pour se reconnaître ; et quelques jours après c’était la dauphine elle-même qui était emportée, avant d’être relevée de ses couches, par un accident que rien ne faisait pressentir.

La désolation de son jeune époux était extrême. Ce fut aussi une contrariété générale que de voir ajourner encore les espérances de la succession royale, qui était toujours menacée dans la ligne directe puisqu’elle ne reposait encore que sur une seule tête. Ce n’étaient là cependant que les moindres des préoccupations causées par ces coups inattendus de la mort. Un nouveau roi allait gouverner l’Espagne, et ce n’était pas le fils d’Elisabeth ! La main saccadée et violente qui remuait depuis tant d’années la machine politique de l’Europe allait donc être forcée cette fois de lâcher les rênes. Quel changement ! quel vide dans la balance ! Par quel poids nouveau serait-il remplacé ?

  1. Maurice au prince de Conti, 12 août. — Conti à Maurice, 13 août 1746. — (Ministère de la guerre. Partie supplémentaire.) — Journal de Luynes, t. VII, p. 388-391. — Le comte de Loos au comte de Brühl, 17 août 1746. — (Archives de Dresde.)