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par ses accens mélodieux les accès de mélancolie noire auxquels Ferdinand était sujet. Elle l’admettait dans son intimité et suivait volontiers les avis de cet étrange conseiller ; il était dès lors difficile de préjuger dans quel sens serait dirigée l’influence assez grande qu’elle exerçait sur le jeune roi. On savait seulement qu’elle restait très attachée à son ancienne patrie, et les relations des cours de Londres et de Lisbonne, bien que momentanément moins intimes, reposaient sur des intérêts communs et d’anciennes habitudes qui ne perdaient pas leur empire. L’Angleterre pouvait donc trouver de ce côté une entrée facile pour les propositions d’accommodement qu’elle ne cessait de faire par voie indirecte, dans le dessein de rompre l’alliance des deux couronnes de la maison de Bourbon. Assurément le nouveau couple royal, quoique par des raisons différentes, devait mettre autant de prix que le précédent à assurer l’établissement promis à l’infant, en Italie : car la présence à Madrid d’un fils d’Élisabeth, gendre de Louis XV, et mari d’une princesse qui n’était dépourvu elle-même ni d’esprit d’intrigue, ni d’ambition, pouvait devenir un embarras dont il y avait tout intérêt à se délivrer. Mais outre qu’on pouvait se contenter d’un lot plus modeste que celui qu’avait rêvé la convoitise maternelle, le résultat au lieu d’être conquis l’épée à la main, avec le concours des armes françaises, pouvait être tout aussi bien obtenu par une concession de Marie-Thérèse, due à l’intervention du cabinet britannique.

C’est ce que Noailles, un instant déconcerté, ne tarda pas à faire remarquer dans un mémoire destiné à passer sous les yeux du roi, et c’est aussi ce que Vauréal, qui connaissait bien le terrain, laissa tout de suite entendre à d’Argenson, pour calmer son imagination trop prompte à se mettre en campagne : « J’ai été voir le nouveau roi, écrivait-il en sortant de sa première audience, et je n’ai pas tardé à voir qu’il fallait suivre le style usité en cette cour, qui est de parler en commun au roi et à la reine ; le roi ne sait rien des affaires : c’est la reine qui le dit, et lui dit simplement qu’il n’est au fait de rien… C’est Marie qui succède à Élisabeth plutôt que Ferdinand à Philippe… les Anglais vont se remuer, et je crains maintenant que la paix ne soit trop facile. » Puis, il racontait qu’ayant dû faire sa visite de condoléance à la reine douairière, cette princesse, qui cachait sous l’apparence d’une douleur conjugale exagérée sa rage intérieure, lui avait dit à l’oreille : « Ne vous y trompez pas ; le roi est bonasse, mais la reine hait les Français, il n’y en aura plus ici que pour les Portugais et les musiciens. » Il est vrai qu’elle venait de sortir du palais où elle avait régné tant d’années en traversant les rangs d’une foule dans laquelle il y avait, dit encore Vauréal, plus de contens que d’affligés.