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De ce système détruit, il subsistait cependant une idée essentielle ; car il est certain que la combustion et la formation des gaz qui l’accompagnent impliquent autre chose que la simple pesée des matières mises en jeu dans l’expérience. On ne saurait se dispenser d’envisager et d’expliquer la chaleur même qui s’y manifeste, et le rôle qu’elle joue dans les changemens d’états tant physiques que chimiques de la matière.


I. — LA CHALEUR ET LES TROIS ÉTATS PHYSIQUES DES CORPS.

C’est ainsi que Lavoisier, généralisant de plus en plus les problèmes qui se présentaient à lui, fut amené à transporter ses recherches, jusque-là purement chimiques, dans l’ordre de la physique proprement dite. Il dut s’occuper de la chaleur et de ses effets : d’abord au point de vue de la constitution physique des gaz, qu’il a concouru à fixer sur ses bases véritables ; puis dans ses relations directes avec les phénomènes chimiques : la logique même de la discussion relative au phlogistique l’obligeait à entrer dans ce nouveau domaine.

En effet, tout n’était pas chimère et illusion dans la théorie du phlogistique. Elle reposait sur ce fait parfaitement exact que, dans les réactions chimiques, et spécialement dans les combustions et oxydations, quelque chose est perdu ; mais ce quelque chose n’est pas une matière pondérable : c’est de la chaleur, c’est-à-dire une chose dont on ne saurait, même aujourd’hui, affirmer la nature substantielle. Est-ce un fluide, une matière réelle ? Est-ce un mouvement actuel, ou, moins encore, une virtualité, une énergie ? Nous n’avons pas cessé de discuter sur tous ces points. Ils étaient déjà impliqués dans la vieille théorie du phlogistique.

Lavoisier ne pouvait échapper à la difficulté de ces problèmes. Il y applique tout d’abord des conceptions réalistes, analogues à certains égards, — sauf en ce qui touche les questions de poids, — aux notions qu’il venait de renverser : il substantifie la chaleur dans un fluide igné, matière commune du feu, de la chaleur et de la lumière : ce qui était conforme, en effet, aux idées que les physiciens s’étaient formées peu à peu, par un travail qui durait depuis le temps de Descartes, inventeur de la matière subtile, et même auparavant ; car on pourrait remonter jusqu’aux anciens philosophes. Lavoisier créa le nom de calorique, depuis fort en honneur, a(in de désigner cette matière, et pour mieux caractériser son nouveau système.

Rappelons d’abord comment il en comparait étroitement le rôle à celui de l’eau dans les actions physiques et chimiques. Le rôle de l’eau, disait-il, est double, suivant qu’il s’agit de l’eau de