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États-Unis, à imprimer, vingt-quatre heures après sa réception à New-York, un ouvrage publié à l’étranger.

On comprend qu’une industrie aussi lucrative témoigne peu d’empressement à se rallier aux idées de la protection littéraire et artistique ; et qu’elle voie de fort mauvais œil les tentatives faites pour obtenir l’adhésion de l’Union américaine à la convention de Berne. On comprend aussi qu’une nation longtemps absorbée par des préoccupations d’un tout autre ordre, par la mise en culture de son sol, l’exploitation de ses usines, la construction de ses voies ferrées, ait tardé à produire des littérateurs et des artistes. On avait alors autre chose en tête, et le besoin ne s’en faisait pas sentir. L’Angleterre fournissait des livres pour ceux, en petit nombre, qui avaient des loisirs ; la France, des œuvres d’art pour ceux, en plus petit nombre, qui s’y intéressaient et les pouvaient payer ; cala suffisait aux besoins intellectuels d’une population affairée et passablement indifférente à tout ce qui n’était pas d’une utilité pratique.

Les droits des auteurs, le respect dû à la propriété littéraire et artistique, sonnaient étrangement à l’oreille de gens alors libre-échangistes à outrance, ennemis nés de tout monopole, qui tenaient la littérature et l’art comme emplois de désœuvrés, et les œuvres littéraires et artistiques comme un fonds où chacun pouvait puiser à sa guise, comme le patrimoine commun de l’humanité. Il n’en allait pas de même pour leur blé, leur bétail et leurs produits agricoles. C’était autre chose ; mais la pensée, l’idée, la conception étaient à tous, et l’on estimait avoir fait suffisamment en empruntant à l’Angleterre le bill de la reine Anne, la loi du Copyright votée en 1709 « pour encourager la littérature et le génie, » et qui déterminait les droits des auteurs anglais en Angleterre ; Lai colonie de New-York le modifiait en 1786, et, après le vote de la constitution, en 1789, on ramenait à un type unique la législation des diverses colonies sur la matière, non certes pour protéger, si-peu que ce fût, les auteurs étrangers, mais bien pour inaugurer le système de piraterie dont nous avons constaté les effets.

Qu’édictait en effet cette loi nationale ? Quatorze ans de protection pour les droits d’auteurs américains ou résidons en Amérique ; en cas de survie à l’expiration de ce terme, une nouvelle prorogation de quatorze années ; « liberté absolue de reproduire les œuvres étrangères sans aucune rétribution à leurs auteurs. » Il semble que le législateur, hanté de la crainte que ses compatriotes n’eussent quelques scrupules à s’approprier ce qui ne leur appartenait pas et à faire, à l’auteur pillé, quelque légère aumône, se soit appliqué à rassurer leur conscience et à lever tous leurs doutes. Aussi insistait-il : droit absolu, puis, sans aucune rétribution. C’était clair, et, de son mieux, on se conforma à ses prescriptions.