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d’Amérique et auprès des corporations intéressées aux diverses questions relatives aux œuvres littéraires et artistiques, à l’effet d’en obtenir la reconnaissance des droits légitimes de l’écrivain et de l’artiste et la protection de leurs privilèges.

Il accepta avec d’autant plus d’empressement que le retour aux affaires de M. Blaine lui laissait quelque espoir d’une discussion large et approfondie, étant donné le caractère lettré du premier ministre, auteur de Vingt ans au Congrès. M. de Kératry pouvait, en outre, compter sur la bienveillance de M. Spuller, ministre des affaires étrangères, qui le recommandait chaleureusement à notre ministre à Washington, invitant ce dernier à lui prêter son concours et à saisir le moment opportun pour entamer des négociations officielles.

Dès son arrivée à Washington, en octobre 1889, M. de Kératry entama une campagne de propagande personnelle en faveur de la reconnaissance des droits des auteurs étrangers. Il la mena avec autant d’habileté que d’énergie, en homme familiarisé avec les coutumes et les manières de faire des Américains, ne leur ménageant ni les vérités qu’ils savent entendre, ni les complimens qu’ils aiment et souvent méritent. Missionnaire convaincu de la cause qu’il plaidait, il la plaida avec chaleur et succès, soutenu par les grands éditeurs américains, par l’American League et par les principaux organes de l’opinion publique aux États-Unis : le New-York Herald, le World, la Tribune, le Times, le North-American Review et nombre d’autres.

Si sérieux que fussent ces concours et le bon vouloir incontestable du secrétaire d’État, M. Blaine, qui, dès la première entrevue qu’il eut avec MM. Roustan et de Kératry, s’écriait : « Il est temps, en effet, de mettre un terme à ce pillage organisé, » la tâche de M. de Kératry était délicate et celle du ministre de France ne l’était pas moins. Tous deux, l’un comme représentant officiel du gouvernement français, l’autre comme représentant accrédité des auteurs et des artistes, poursuivaient parallèlement un but commun, mais l’un et l’autre se heurtaient à une opposition cantonnée derrière des questions de formes parlementaires. La question relevait-elle du congrès ou du pouvoir exécutif ? Ce dernier pouvait-il négocier avec la France une convention littéraire spéciale, sauf à la faire ratifier par le sénat, gagné à la cause, ou devait-il attendre, pour ouvrir les négociations, le vote successif par le sénat et la chambre d’un amendement à la loi du 18 juin 1874, dont l’article final maintenait le droit « d’imprimer et de publier, de graver et reproduire toutes œuvres écrites, composées ou exécutées par toute personne ne jouissant pas de la qualité de citoyen des États-Unis ou du droit de résidence ? » Ni M. Roustan, ni M. de Kératry