Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’imagination et au cœur des sources depuis longtemps oubliées. Le scepticisme alors était le pont aux ânes (hélas ! comme aujourd’hui ; mais d’où viendra le réveil ? ). La religion et la piété considérées sous leurs aspects accessibles et touchans, c’était là qu’étaient la nouveauté, l’originalité. Il sentit lui-même confusément une source de grands effets littéraires et un renouvellement de l’imagination dans le monde ; pour un tel objet, il n’était pas nécessaire de posséder une foi bien orthodoxe et bien solide. L’imagination et la sensibilité suffisaient. Peut-être la divinité surnaturelle du christianisme n’apparut-elle pas tout à coup au noble écrivain comme absolument démontrée ; mais ce à quoi il crut sans hésiter et toute sa vie, et ce qu’il fit croire à tout son siècle, c’est à la beauté du christianisme : c’est là ce qui lui fut révélé par le souvenir de sa mère mourante ; et ici la cause occasionnelle qui détermina cette révélation est bien autrement noble et touchante que celle que nous avons rappelée pour Rousseau. Ce n’est pas la boutade sophistique d’un ami : c’est une voix d’outre-tombe, une voix maternelle qui vient corriger, adoucir et enfin guérir, au moins à la surface, la plaie d’un scepticisme desséchant. Quoi de plus vraisemblable, de plus humain, de plus légitime ? Cette voix n’était-elle pas faite pour révéler à Chateaubriand l’un des deux hommes qui étaient en lui, et le meilleur ? Pourquoi le chicaner, pourquoi le soupçonner, pourquoi peser dans des balances si délicates une conversion qu’il déclare lui-même n’avoir pas été surnaturelle ?

La vraie justification de Chateaubriand est l’examen du livre dont nous venons de raconter l’origine. C’est en mesurant le genre et le degré de vérité contenus dans le Génie du christianisme que nous pourrons nous rendre compte du réel état d’esprit de son auteur. Lui-même reconnaît n’avoir pas fait une apologie dans le vrai sens du mot. Il a fait plutôt une œuvre de préparation évangélique, suivant l’expression d’Eusèbe : c’est une sorte d’exorde, et d’exorde insinuant à l’œuvre de la régénération chrétienne que de plus forts que lui, moins poètes et plus dogmatiques, vont essayer d’édifier. À chaque heure suffit sa peine. Il fallait d’abord ramener les imaginations et ébranler les cœurs avant de terrasser les âmes et de subjuguer les esprits. À une telle œuvre une foi tissue par la poésie plus peut-être que par la grâce de Jésus-Christ pouvait suffire. L’auteur ne vous devait pas ses confidences. Il croyait assez pour sentir vivement, et il ne vous demandait que de sentir comme lui : ce succès, il l’obtint pleinement, non sans réclamation et sans révolte. Le parti philosophique auquel il s’attaquait se vit pris de flanc par un mouvement inattendu. Il se plaignit que ce n’était pas dans les règles du jeu, qu’on le prenait par la tierce