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Arnault, Lacretelle, Morellet, Saint-Jean-d’Angély, l’abbé Sicard et Lemercier.

Voici quelles lurent les conclusions de la commission : « 1° le Génie du christianisme, considéré comme ouvrage de littérature, a paru à la classe défectueux quant au fond et quant au plan ; 2° quand le fond et le plan n’auraient pas été défectueux, l’exécution serait encore imparfaite ; 3° malgré les défauts remarqués dans le fond de l’ouvrage, dans le plan et dans l’exécution, la classe a reconnu un talent très distingué dans le style ; 4° elle a trouvé de nombreux morceaux de détail remarquables par leur mérite, et, dans quelques parties, des beautés de premier ordre ; 5° elle a trouvé toutefois que l’éclat du style et la beauté des détails n’auraient pas suffi pour assurer à l’ouvrage le succès qu’il a obtenu, et que ce succès est dû à l’esprit de parti et à des passions du moment ; 6° enfin la classe a trouvé que l’ouvrage, tel qu’il est, pourrait mériter une distinction. »

L’Académie, qui expliquait le succès du Génie du christianisme par l’esprit de parti, était elle-même dominée dans son jugement par l’esprit de parti. C’est ainsi que l’esprit des corps change avec les temps. Le même corps qui avait refusé un prix au Génie du christianisme refusa également un prix, par des raisons contraires, mais par des préjugés semblables, à l’Histoire de la littérature anglaise de M. Taine, et attendit pour admettre cet écrivain dans son sein qu’il eût écrit contre la révolution. Au reste, il y a du vrai dans les critiques des commissaires de l’Académie ; mais ils se refusèrent absolument à entrer dans la pensée de l’auteur, ou du moins ils se reconnurent incapables de la comprendre. Nous allons du reste indiquer leurs principales objections.

Chateaubriand, dans l’introduction de son ouvrage, avait expliqué clairement le but qu’il s’était proposé et la méthode qu’il avait employée : « Ce n’était pas, disait-il, les sophistes qu’il fallait réconcilier avec la religion ; c’était le monde qu’ils égaraient ; on l’avait séduit en lui disant que le christianisme était un culte né au sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté ; un culte qui n’avait fait que verser le sang et enchaîner les hommes… On devait donc chercher à prouver, au contraire, que de toutes les religions, la religion chrétienne est la plus pacifique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout depuis l’agriculture jusqu’aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu’aux temples bâtis par Michel-Ange et décorés par Raphaël, qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, de plus