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de ses preuves essentielles ne fût affaiblie et que son véritable esprit, bien supérieur à son génie, ne disparût devant ses beautés. Nous leur avons entendu dire que l’Évangile n’est nullement une poétique, qu’on ne fait point un cours de religion comme un cours de littérature, qu’il faut apprécier le christianisme par ses effets divins et non par ses effets dramatiques, qu’on doit juger de sa morale non par la sensibilité et l’imagination, mais par la sublimité de sa morale et la profondeur de ses dogmes ; que sous ce dernier rapport il n’a point de génie, et que ce mot profane paraît le dégrader en l’assimilant de trop près à un don purement naturel ou à une passion purement mondaine. » L’auteur de l’article essaie de répondre à cette objection ; mais la complaisance et la force avec lesquelles il la développe prouvent qu’elle ne lui paraît nullement à dédaigner.

C’est bien là, en effet, l’objection fondamentale et radicale contre le Génie du christianisme. Les autres critiques ne portent que sur des points secondaires ; mais celle-ci porte sur le fond. C’est sur ce point surtout que Chateaubriand a à cœur de se justifier : c’est ce qu’il fait dans sa Défense du Génie du christianisme ; et il faut avouer qu’il le fait avec habileté, et d’une manière victorieuse, si toutefois on veut bien se placer à son point de vue.

Il se demande d’abord si les laïques ont le droit de défendre la religion ; et il cite en faveur de cette thèse de nombreux exemples. Chez les anciens, Arnobe et Lactance n’étaient pas prêtres ; chez les modernes, Pascal et La Bruyère ne l’étaient pas davantage. En outre, les critiques ne se sont pas placés au véritable point de vue. Sans doute, si la religion était universellement admise, universellement respectée, on n’aurait que faire d’employer des armes mondaines : « Le Génie du christianisme, l’auteur le reconnaît, eût été sans doute, au XVIIe siècle, un ouvrage fort déplacé ; le critique, nous ne savons lequel, qui a dit que Massillon n’aurait pas composé cet ouvrage, a dit une grande vérité. » Mais autres temps, autres soins. Le christianisme a été attaqué à l’aide d’argumens frivoles ; et c’est le genre d’argumens qui a pénétré le plus avant dans l’âme du peuple. On l’a présenté sous des aspects grotesques et ridicules. On a employé contre lui l’ironie et le mépris. Eh bien ! il y aurait donc toujours un côté par où la religion resterait à découvert ! Répondra-t-on par de la théologie à des contes licencieux et à des vers piquans ? L’important n’était pas de faire un livre savant, mais un livre populaire. Pour qui ce livre est-il écrit ? Est-ce pour les théologiens, pour les savans, pour les philosophes ? Non, c’est pour les jeunes gens, pour les femmes, pour les gens du monde, pour les gens de lettres, qui ne liraient