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moraux, et c’est la quatrième partie. Ce plan nous paraît valoir celui de tous les ouvrages un peu compliqués. Il n’est pas plus mauvais que le plan du siècle de Louis XIV ou de l’Esprit des lois, qui n’en sont pas moins de très beaux ouvrages.

La première partie est malheureusement la plus faible. C’est celle qui met le plus en relief les inconvéniens du sujet, et comme c’est ce que l’on lit d’abord, c’est sur elle surtout que se sont formées les impressions les plus défavorables. En effet, quand on se trouve en face de ces grands dogmes et de ces grands mystères, la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption, on est un peu choqué de ne trouver que des argumens poétiques et des images souvent heurtées, et pas toujours de très bon goût. Peut-être, comme le disait l’abbé Morellet, l’auteur eût-il dû supprimer cette partie ; mais alors l’ouvrage eût par trop manqué de corps.

Cependant même cette première partie contient des beautés de premier ordre. Elle commence par un beau chapitre sur le mystère. Chateaubriand fait remarquer que tout est mystère et que rien n’est beau comme le mystère. Un écrivain acerbe, l’auteur d’Oberman, M. de Sénancour, critique finement ce chapitre tout en reconnaissant qu’il est très beau ; il fait remarquer qu’il s’y trouve une équivoque, à savoir une confusion entre le mystère et les mystères. Le mystère, c’est l’inconnu. Les mystères sont des dogmes. L’un de ces termes correspond à l’ignorance, l’autre à la foi. L’un ouvre des perspectives infinies ; l’autre, au contraire, ferme ces perspectives et enchaîne la liberté de l’esprit. Ces vues critiques seraient très justes s’il s’agissait de prouver les mystères par le mystère ; mais ce n’est pas la pensée de Chateaubriand. Il ne dit pas : il y a du mystère dans la nature ; donc il faut croire aux mystères selon la foi, car cet argument prouverait autant pour Brahma que pour Jésus. Mais Chateaubriand veut dire : étant donné que les mystères peuvent être prouvés par d’autres raisons qui sont l’objet de la théologie, non de la littérature, il n’y a pas à tirer une objection contre eux, de ce que ce sont des mystères, puisque tout est mystère. En outre, le mystère ne nous abaisse pas, puisque c’est le mystérieux qui est la principale source de la beauté ; il aurait pu même répondre à Sénancour que, quoique le mystère soit un dogme, et que par là il enchaîne dans de certaines limites la liberté de l’esprit, il reste encore assez d’ignorance pour émouvoir et terrifier l’imagination. L’inconnu est dans le mystère lui-même.

Cependant, quand Chateaubriand passe à l’exposition des dogmes eux-mêmes, c’est là surtout, disons-nous, que se fait sentir sa faiblesse, soit en métaphysique, soit en théologie. Combien peu de chose, par exemple, sur la Trinité ? Quelques citations pour