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II

De quelle administration s’agit-il ? La chose demande à être expliquée aux lecteurs de notre vieux monde. Mrs Burnett est censée raconter une série d’événemens et d’incidens survenus pendant le laps de temps que remplit à Washington une administration présidentielle. On sait qu’en Amérique beaucoup de choses arrivent et s’en vont avec un nouveau président ; il n’y a pas de carrière, pas de services rendus qui tiennent : tout change, selon que la récente élection a fait monter au pouvoir les républicains ou les démocrates ; c’est comme la désorganisation et le renouvellement d’un monde. Cette histoire, qui commence avec l’inauguration du président et qui se clôt sur celle de son successeur, n’est évidemment que le prétexte d’une peinture de mœurs sociales contemporaines. Mrs Burnett, qui habite Washington, où son mari est médecin, a, de par sa situation très honorable et sa célébrité bien acquise, l’occasion de voir de près le milieu officiel qu’elle entreprend de nous faire connaître ; ses renseignemens sont donc d’un réel intérêt. Nous avions déjà fait connaissance, du reste, dans maints romans, un peu plus même que nous ne l’eussions souhaité, avec l’armée, généralement peu recommandable, des lobbyistes, solliciteurs et courtiers qui rôdent dans les couloirs de la chambre et du sénat, briguant des concessions de terres ou de chemins de fer pour eux-mêmes ou pour leurs amis, avec la volonté acharnée de réussir par quelque moyen que ce soit. Nous avions assisté à des marchés qui justifiaient l’opinion de beaucoup de voyageurs et même d’Américains sur la ville de Washington, représentée comme le centre même de la corruption, une caverne où des personnages officiels, assiégés d’offres scandaleuses, mettent en vente, pour ainsi dire, tels ou tels privilèges avec un cynisme révoltant. Mrs Burnett a le mérite de présenter des lobbyistes d’espèce nouvelle, gens du monde fort considérés qui évitent les apparences professionnelles ; elle a même placé parmi eux le type absolument inédit de la lobbyiste sans le savoir.

Figurez-vous un mari qui a d’une part de gros intérêts d’affaires à défendre et de l’autre une jolie femme fort à la mode. Quand un des hommes dont dépend sa fortune se montre un peu récalcitrant, il l’invite à dîner, et la jeune femme est si charmante que l’hôte s’en va inévitablement avec le désir de lui être agréable. L’innocente ignore même quelle raison peut avoir son seigneur et maître pour lui recommander de chercher à plaire à celui-ci ou à celui-là. Elle suit un penchant naturel qui la porte à se montrer gracieuse et