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Rien n’est plus facile que de faire de la politique de fantaisie et de susceptibilité dans une interpellation, de céder à on entraînement de faux patriotisme, de prétendre que la France, dans sa situation, se devait à elle-même de décliner l’invitation de l’empereur Guillaume.

Qu’est-ce à dire, cependant ? La France n’est pas seule au monde ; elle a des intérêts communs avec toutes les nations, des rapports avec tous les états, avec l’Allemagne comme avec tous les autres. Elle a un ambassadeur à Berlin, de même que l’empereur d’Allemagne a un ambassadeur à Paris. La France n’a pas seulement ces relations régulières, Elle a envoyé plus d’une fois depuis quinze ans des représentans particuliers à Berlin. Elle est allée au congrès où a été signée la paix de l’Orient, après la guerre entre la Russie et la Turquie. Elle est allée à la conférence où ont été traitées les questions africaines. Elle est allée à d’autres réunions à Berlin même. Quel intérêt aurait-elle eu aujourd’hui à se retrancher dans un isolement morose, à refuser d’aller à la conférence nouvelle où doivent être traitées les affaires les plus graves, les plus délicates de l’industrie et de la vie ouvrière ? Le gouvernement français ne pouvait donc éviter d’accepter l’invitation de l’empereur Guillaume, d’autant plus qu’il avait déjà accepté une invitation semblable à Berne, et M. le ministre des affaires étrangères Spuller, il faut le dire, a mis autant de prudence que de simplicité dans ses résolutions comme dans la réponse qu’il a opposée à une interpellation plus bruyante que réfléchie. Le gouvernement a fait sur certains points ses réserves comme il le devait, comme l’Angleterre elle-même a fait les siennes. Il a choisi le mieux qu’il a pu la délégation qu’il envoie à Berlin, et en mettant M. Jules Simon à la tête de cette mission, il a prouvé qu’il entendait être bien représenté. Tout cela est simple et correct. Le gouvernement n’a rien compromis, il a évité au contraire de tomber dans le piège d’une abstention qui aurait pu n’être pas sans danger. Aussi l’interpellation est-elle restée sans écho. Tous les partis sans distinction se sont confondus dans un sentiment commun pour laisser au gouvernement sa liberté. Le ministère a été sauvé pour un jour, par une question de diplomatie ! Il n’a été sauvé que pour un jour ; il est perdu à l’heure qu’il est par une autre question de diplomatie, à la suite d’un débat sur les relations de commerce avec la Turquie. Il n’a pas pu réussir à faire accepter par le sénat un arrangement qu’il avait négocié avec l’empire ottoman et il a donné sa démission. Il a fini sa médiocre odyssée ! C’était inévitable un jour ou l’autre, parce qu’en dehors de ces questions, le ministère a sa faiblesse en lui-même. Il tombe tout simplement parce qu’à chaque incident se réveille avec plus d’intensité ce besoin d’un gouvernement plus sérieux, plus capable de longs et prévoyans desseins dans l’intérêt de la paix intérieure et de la considération extérieure de la France !

Tous ces problèmes du travail, des salaires, du capital, de la vie