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ouvrière, sur lesquels l’ardent et impatient empereur d’Allemagne appelle l’Europe à délibérer, ont certes un puissant intérêt pour toutes les nations. Ils ont même un tel intérêt, ils sont d’un ordre si grave, si compliqué, qu’on a de la peine à se défendre de quelques doutes sur l’issue de ces délibérations expéditives. Les délégués envoyés de toutes parts y mettront sans nul doute leur meilleure volonté ; au demeurant, ce sera un spectacle rare, — plus curieux peut-être que fécond en résultats pratiques, dût-il durer quinze jours ! Ce qu’il y a d’ailleurs, avant tout, de frappant dans cette tentative, c’est que, si elle est faite pour intéresser l’Europe, elle se lie aussi à un état assez indéfinissable de l’Allemagne, à une situation où tout commence à devenir singulier et où le rôle de l’empereur lui-même n’est pas ce qu’il y a de moins étrange.

Oui, sans doute, hommes et choses, tout change rapidement en Allemagne depuis quelque temps. Ces élections qui viennent de s’accomplir, qui ont maintenant dit leur dernier mot, révèlent assurément un état assez nouveau d’opinion, un travail qui peut déconcerter bien des calculs. Guillaume II lui-même est un souverain assez nouveau par son esprit, par ses allures, par la liberté originale et hardie avec laquelle il mène ses affaires. C’est un prince d’une nature compliquée, mêlant l’imagination romantique ou mystique de Frédéric-Guillaume IV au réalisme d’un Frédéric II, cachant peut-être plus d’un calcul sous ses impétuosités et ses inexpériences, allant tout droit aux aventures socialistes, — sans négliger de demander de nouveaux crédits militaires et en mettant au besoin la main sur son épée. Il a surtout la passion des discours et depuis longtemps vraiment il n’y a eu rien de plus curieux que cette dernière harangue qu’il adressait ces jours passés aux états de Brandebourg, réunis dans un banquet. Il parle de tout à ses fidèles Brandebourgeois : il leur parle de ses voyages, de ses méditations sur le pont de son navire entre le ciel et la mer, de son grand-père, de sa mission, de son devoir d’augmenter l’héritage qu’il a reçu, de la Bible, de ses projets. Il ne manque pas, au surplus, d’ajouter, pour l’édification complète de ses bons Brandebourgeois, que s’il est disposé à accueillir tous ceux qui voudront l’aider, quels qu’ils soient, il est résolu aussi à réduire en poussière ceux qui lui feront obstacle ! Un des traits les plus caractéristiques de ce prince intéressant et peut-être redoutable est véritablement l’impatience de s’émanciper, d’agir, de mettre à tout le sceau de son impétueuse jeunesse. Il commande des flottes aussi bien que son armée. Il déconcerte par ses rescrits, ouvre une conférence à l’Europe et fait du socialisme une puissance reconnue. Il préside son conseil d’état et se mêle à toutes les discussions, il choisit ses hommes. Il remplit de plus en plus la scène, éclipsant par degrés celui qui a passé jusqu’ici pour le premier guide de l’Allemagne. On est un peu loin de ce discours de 1888, où le jeune