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traité de Turin, serait heureux de le ressusciter par cette voie indirecte, et s’imagina même avoir fait aussi entrer dans cette pensée Mme de Pompadour, par l’intermédiaire des frères Paris, qui se prêtèrent, je ne sais pourquoi, à entretenir son illusion. De là tout un échafaudage de négociations bâti sans aucun fondement réel, et qui n’exista jamais sérieusement, je crois, que dans la tête qui l’avait conçue, car tout se passa en conversation, et il n’en reste aucune trace écrite[1]. — « Je chargeai, dit-il dans ses mémoires, Montmartel de négocier à Paris avec Montgardin ; la princesse de Carignan me voyait souvent à ce sujet. Enfin, l’allaire avança beaucoup, on alla jusqu’à dire qu’on pouvait passer outre au mariage pourvu que le roi de Sardaigne ne fît rien de pire que ce qu’il avait fait contre nous depuis quelques mois ; laissant le reste à démêler à la reine de Hongrie, ce mariage devant le rendre suspect à son alliée. Je liai enfin une nouvelle négociation directement avec Montgardin ; je voulais que le roi de Sardaigne offrît la paix aux deux couronnes à des conditions fort modérées de notre part, mais ce devait être à lui à offrir, afin que, ces offres passant sur-le-champ à Madrid, nous ne parussions pas même avoir négocié à l’insu de l’Espagne[2]. »

Précaution prudente, car le souvenir des négociations clandestines de l’année précédente hantait toujours les imaginations à Madrid. Rien de plus raisonnable donc que de vouloir agir loyalement et à ciel ouvert avec l’Espagne ; mais c’était peut-être passer la mesure que de laisser ou de faire écrire à Louis XV une lettre dans laquelle, en refusant absolument la main de l’infante, il essayait d’obtenir de Ferdinand, non-seulement l’autorisation, mais le conseil de donner la préférence à la fille de Victor-Emmanuel. L’idée était étrange ; et, si la pièce n’existait pas tout entière en minute de la main de d’Argenson, on aurait de la peine à y croire.

« Le duc d’Huescar[3], disait Louis XV dans cette épitre vraiment comique, m’a offert l’infante Antoinette pour réparer la grande perte que mon fils et moi avons faite. Tout autre que lui, j’y donnerais les mains avec une joie et une satisfaction extrêmes : mais la religion, ma conscience et la crainte de l’avenir ne me le permettent pas, dont je suis au désespoir, et il est impossible de me vaincre là-dessus. Je sais qu’en Espagne on est accoutumé à voir

  1. La seule trace que j’en ai trouvé est une allusion dans une lettre particulière de Montgardin à d’Argenson.
  2. Journal et Mémoires de d’Argenson, t. V p. 65 et 66.
  3. Le duc d’Huescar, que nous avons vu plus haut envoyé extraordinaire, venait de recevoir le titre et les fonctions d’ambassadeur en remplacement du marquis de Campo-Florido.