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frère : « Je souhaite que le fruit de cette action soit plus considérable pour la politique que pour le militaire. » — L’effet moral n’en était pas moins grand. Ce n’étaient pas seulement onze drapeaux, cinquante pièces de canon, soixante officiers de marque restés entre les mains du vainqueur. C’était le désordre jeté dans les rangs de la coalition, où les récriminations réciproques d’Anglais contre Allemands, de Cumberland contre Charles de Lorraine, et de Waldeck contre tous deux, allaient reprendre avec une nouvelle intensité de vivacité et d’aigreur. C’était aussi le prestige des armées françaises, un peu atteint par les revers d’Italie et par la timidité apparente des mouvemens de l’armée de Flandre, relevé et rajeuni. Notre infanterie, en particulier, dont l’attitude avait été si faible à Dettingue et pas entièrement satisfaisante même à Fontenoy, était glorieusement réhabilitée ; c’est à elle qu’appartenait l’honneur de la journée. — « Je me raccommode avec l’infanterie, » disait le soir le maréchal de Saxe. — Puis des traits touchans (à la vérité, quel jour de bataille en avait-on jamais manqué ? ) venaient rehausser le nom de cette noblesse française, dont la légèreté indocile impatientait parfois ses chefs, mais dont l’héroïsme, le jour venu, répondait toujours à l’appel. Des noms déjà très illustres étaient répétés de bouche en bouche : d’abord celui du chevalier de Belle-Isle lui-même, qui s’était multiplié pendant toute la journée par des prodiges d’activité et de valeur, oubliant toute rivalité et se faisant l’aide-de-camp de Maurice, aussi ardent et aussi fidèle qu’il l’eût été de son frère : puis celui du duc de Bouillers, qui, n’ayant pas de commandement de son grade, était venu combattre à pied sous les ordres de son fils, jeune colonel d’un régiment : enfin, et surtout celui du marquis de Fénelon, naguère ambassadeur en Hollande, qui, le jour où la politique lui avait retiré son poste, était venu reprendre son rang dans l’armée. Blessé depuis quarante ans, il pouvait à peine marcher ; mais ne voulant pas s’éloigner du feu, il avait entrepris de parcourir les retranchemens à cheval. La balle qui vint le frapper le trouva fidèle ce jour-là, comme toute sa vie, aux leçons de son oncle, qui ne lui aurait pas souhaité d’autre fin. — « Son extrême dévotion, dit Voltaire, augmentait encore son intrépidité. Il pensait que l’action la plus agréable à Dieu était de mourir pour son roi. Il faut avouer qu’une armée composée d’hommes qui penseraient ainsi serait invincible. »

Le succès restait donc très éclatant, et rien ne vint troubler la représentation des Amours grivois, qui eut lieu le lendemain à l’heure dite et suivant le programme annoncé. Favart, qui trouvait des rimes, bonnes ou mauvaises, pour toutes les occasions, crut devoir faire un trait de véritable chevalerie française en rendant,