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de son souverain. En mainte occasion, il a déclaré bien haut qu’un roi de Prusse règne et gouverne. Mais dans la pratique, il avait singulièrement réduit l’exercice et le champ de cette souveraineté illimitée. Il entendait que le roi-empereur se désintéressât d’une foule de choses, que son office propre fût de s’occuper de son armée, qu’il s’en remît à son chancelier du soin d’administrer le reste. On put croire au début du nouveau règne que Guillaume II se prêterait complaisamment à ces exigences. Il commença par passer des revues, après quoi il voyagea, et les voyages sont encore une de ces occupations innocentes qu’on peut permettre aux rois. Sans doute le chancelier a lu sans froncer ses orageux sourcils les dépêches où ce touriste couronné lui vantait les douceurs du ciel de l’Attique et les merveilles du Parthénon. Mais on ne peut voyager toujours. Après avoir couru le monde, Guillaume II chassa avec fureur. Tout allait bien encore quand tout à coup il s’avisa que la question sociale était digne de l’intéresser et que Dieu lui commandait d’être l’empereur des ouvriers aussi bien que des soldats.

M. de Bismarck voulait que son souverain fût très discret, fort réglé dans le choix de ses occupations, et il n’est rien dont Guillaume II ne désire s’occuper. M. de Bismarck défend aux rois d’avoir des amis et il leur interdit aussi d’avoir des idées. Guillaume II se réveille tous les matins avec une idée fixe, qu’il entend appliquer. Dans sa tête à compartimens il y a place pour tout, et les contraires s’y assemblent quelquefois. Un jour il prend feu pour la question sociale, le lendemain il tient un conseil de généraux. Il convoque à Berlin des délégués français pour y conférer sur le travail des femmes et des enfans, et il les reçoit à merveille. Mais il profite de leur séjour pour porter au prince de Galles un toast où il rappelle Waterloo, le sang prussien mêlé au sang anglais et la défaite de l’ennemi commun.

Son imagination est une lanterne magique, dans laquelle les tableaux se succèdent avec une rapidité étonnante. Il a toutes les curiosités, et il est passionné dans tous ses goûts. Il fera bientôt une retraite à la Wartbourg, il ira se recueillir dans la chambre de Luther, en face d’une muraille tachée d’encre, qui témoigne qu’une nuit le grand réformateur lança sa lourde écritoire à la tête du diable. Après s’être recueilli, il chassera le coq de bruyère, et après avoir chassé le coq, il se passionnera pour quelque problème politique ou social, qu’il pense être seul en état de résoudre. De l’humeur dont il est, pouvait-il s’accommoder longtemps de la tutelle d’un maire du palais ? Il tient à ses amis et il tient encore plus à ses idées ; aussi n’a-t-il pas balancé un moment à accepter la démission de M. de Bismarck. C’est une opinion très répandue en Allemagne qu’il pensait au chancelier lorsqu’il a dit à la diète de Brandebourg : « Celui qui se mettra sur mon chemin, je l’écraserai : Wer mich in meinem Werke hindert, den zerschmeitere ich. » La question disent les Allemands, était de savoir qui devait gouverner du