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tableau la phrase de François Ier devant le modèle du Jupiter de Cellini. Le roi regarde la statue olympienne tout autrement que la duchesse regardait tout à l’heure le bracelet ciselé par Ascanio. Voilà bien avec quelle ampleur, avec quelle chaleur devait parler à un Benvenuto un prince qui savait le comprendre et daignait le protéger.

On souhaitait jadis que M. Saint-Saëns écrivît un jour tout un ouvrage dans le style tempéré du second acte de Proserpine. Il l’a écrit cette fois. A la douce Angiola il a donné pour sœur Colombe, et le musicien qu’on accuse le plus de sécheresse et de raideur a créé deux charmantes figures de jeune fille. Le talent de M. Saint-Saëns, dit-on, manque de grâce. Est-il pourtant rien de plus gracieux que l’entrevue, au seuil de l’église, de Colombe et d’Ascanio ? Est-il beaucoup de plus poétiques rencontres, de dialogues plus mélodieux ? Et comme c’est bien d’être clair, d’être simple, quand on pourrait, quand on saurait mieux que personne être obscur et compliqué, brouiller ou déchaîner tout un orchestre pour accompagner quelques paroles d’amour ! Comme c’est bien aussi de ne pas se refuser, de ne pas nous refuser un trio finement écrit, harmonieux et touchant : celui du mendiant, de Colombe et d’Ascanio ! Comme c’est bien enfin, et comme c’est rare, même en musique, d’avoir de l’esprit ! Il y a beaucoup d’esprit dans Ascanio. Il y en a dans certain motif des apprentis qui revient à chaque instant, il y en a dans la courte scène de l’assaut du Nesle. Le prévôt de Paris, M. d’Estourville, refuse, malgré l’ordre du roi, de rendre le Nesle à Benvenuto et à ses élèves. Que vont-ils faire, alors ? Le prendre, et le prendre gaîment. Le prévôt leur a bien envoyé une arquebusade, mais elle n’a blessé personne. C’est la guerre, mais la guerre pour rire. Quelques cailloux jetés aux vitres, une nuée de petits polissons criant sous les fenêtres : « D’Estourville ! D’Estourville ! » comme ils crieraient : « Les lampions ! » et rien de plus. Cette note de bonne humeur, de gaminerie, le compositeur l’a donnée très sobre et très juste. Un autre n’aurait pas manqué de faire ici de la musique pour le siège de Troie.

De l’esprit ! En voici encore au tableau suivant. Dans ce Nesle, devenu leur atelier, les élèves de Benvenuto mettent la dernière main à la fameuse châsse. Soudain Scozzone entonne une chanson de son pays et du leur, du beau pays bleu. Elle chante à pleine voix, la brune Florentine, assise sur une table, renversant en arrière sa chevelure noire et piquée d’épingles d’argent. Elle chante, et le travail cesse, et les marteaux se taisent, et tous ces enfans de Florence, gagnés par la gaîté de Scozzone, sentant leur Italie leur battre dans le cœur, excitent encore et fouettent d’un refrain endiablé la chanson qui les met en joie. Il y a dans cette réponse étincelante, populaire, triviale même (le mot est un éloge ici), un véritable coup de soleil italien.