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d’intrigue, ce soit un progrès qu’on propose ? une réforme urgente, utile, ou seulement désirable ? C’est ce que l’on a quelque peine à croire d’abord, et c’est ce que l’on croit d’autant moins qu’on y réfléchit davantage.

Il y a, en effet, tout au fond de la définition même de l’art dramatique, si je puis ainsi dire, une nécessité contre laquelle on ne prévaudra pas. C’est que le théâtre vit d’action, et qu’il faut qu’il en vive, ou que, tôt ou tard, perdant sa raison d’être, il se confonde avec le roman. Le spectacle d’une volonté qui se déploie, voilà l’objet du drame ; et voilà d’ailleurs, si l’on y veut bien songer un moment, ce que nous allons chercher au théâtre. Que, d’ailleurs, cette volonté soit aux prises avec le destin, c’est-à-dire, comme de nos jours, avec la nature, avec la loi, avec l’état social, avec les mœurs environnantes ; ou, qu’elle ait à combattre une volonté contraire ; ou qu’enfin, embarrassée de ses propres contradictions et comme entravée dans les liens qu’elle s’est à elle-même donnés, on nous la montre en lutte avec elle-même, ce n’est pas là le point, mais il faut qu’elle agisse. Et pourquoi le faut-il ? Parmi d’autres raisons qu’on en pourrait donner, je n’en indiquerai qu’une seule. C’est que toutes les autres définitions qu’il y ait de l’art dramatique, ne lui convenant pas uniquement, ne le définissent donc pas non plus dans ce qu’il a d’essentiel, de propre, et de spécifique. « Divertir les honnêtes gens ? » Il y en a vingt autres moyens que le théâtre, et si c’est la fin de la comédie, n’est-ce pas celle aussi de la nouvelle et du conte ? « Peindre les hommes d’après nature ? » Mais Bourdaloue dans ses Sermons et La Bruyère dans ses Caractères, s’ils l’ont fait autrement, ne l’ont-ils pas fait aussi bien que Molière ? « Corriger les mœurs en châtiant les ridicules ? » C’est l’affaire de la satire, à moins que ce ne soit celle des moralistes. « Représenter les passions ? » Le roman y pourrait suffire, dont même l’on doit dire que c’est le principal objet. Tout cela peut donc bien entrer dans la définition de l’œuvre dramatique ; et, selon les temps, selon les hommes, tout cela y est effectivement entré. Mais ce qui n’appartient qu’au théâtre ; ce qui fait à travers les âges l’unité permanente et continue de l’espèce dramatique, si j’ose ainsi parler ; ce que l’histoire, ce que la vie même ne nous montrent pas toujours, c’est le déploiement de la volonté ; — et voilà pourquoi l’action demeurera la loi du théâtre, parce qu’elle est enveloppée dans son idée même, quoi que l’on en dise et quoi que l’on en ait.

On simplifiera donc, si l’on veut, une action que je consens qu’Eugène Scribe et ses successeurs aient plus d’une fois inutilement compliquée. On aime à faire ce que l’on fait bien ; et, quand on sait « faire » une pièce, on se donne volontiers le plaisir de la « faire, » seulement pour la « faire. » Tout art a ses virtuoses, dont il faut savoir reconnaître et louer le mérite. On nous donnera donc des actions plus simples, plus