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goût, il eût été sans doute avec M. Léon Say ; il n’a visiblement pas osé braver les fureurs radicales ! Il a recommencé ses jeux d’équilibre, — pour finir par tomber du côté où il a vu le danger le plus immédiat pour son ministère, du côté de M. Lockroy. Il s’est fait l’otage des radicaux, — et encore une fois l’équivoque a été percée à jour ! Ce qu’il y a de curieux, c’est cette arrogante et hypocrite affectation des partis invoquant la nécessité de respecter et de faire respecter des lois régulièrement votées, parce que ce sont des lois. Or, précisément, ces lois qu’on invoque, dont on prétend faire un dogme invariable, elles ne sont pas, le plus souvent, exécutées dans quelques-unes de leurs parties essentielles, et elles ne sont même pas exécutables. Le conseil d’état lui-même s’y perd et ne sait plus comment les interpréter. M. le ministre de la guerre, si habile qu’il soit, n’exécute certainement pas la loi militaire qu’il a contribué à faire voter, parce qu’il ne le pourrait pas, parce qu’il serait obligé de réclamer des crédits qu’il n’ose pas demander, parce qu’il se heurte à tout instant contre de véritables impossibilités morales ou matérielles ; il en est quitte pour se dérober à ses embarras par toute sorte de subterfuges qui risquent de mettre la confusion dans notre organisation militaire. Ces lois scolaires qu’on prétend maintenir dans leur intégrité, auxquelles on interdit au gouvernement de toucher, elles ne sont pas mieux exécutées ; elles deviennent ce qu’elles peuvent dans la pratique, elles restent livrées à un arbitraire indéfini, et M. Léon Say n’a eu aucune peine à démontrer que la dernière loi sur les instituteurs ne pourrait pas être appliquée, qu’elle présenterait des difficultés inextricables. Le respect des lois ! Mais il y a bien d’autres lois violées tous les jours, notamment par le conseil municipal de Paris, et on ferme les yeux ! La vérité est qu’on s’inquiète fort peu de l’exécution ou de l’inexécution des lois, que ce qu’on prétend maintenir, c’est moins les lois scolaires ou la loi militaire que l’esprit de haine et de secte qui les a inspirées, qui reste un défi permanent à une partie de la population française. On est prêt à tout accepter, on l’a dit, pourvu qu’il n’y ait pas un amendement en faveur des séminaristes, — et le gouvernement ne s’est point aperçu qu’en se prêtant à ces passions, en s’engageant à exécuter des lois de combat dans l’esprit qui les a inspirées, comme l’a dit le chef du cabinet, il se créait à lui-même une fatalité d’impuissance.

Que résulte-t-il, en effet, de la position qu’a prise M. le président du conseil ? Le nouveau ministère s’est évidemment mis dans l’impossibilité d’apaiser les divisions, de rallier autour de lui, par une prévoyante conciliation, les forces modérées du pays, sans lesquelles après tout, il ne peut rien. Il s’est réduit à cette extrémité de ne pouvoir vivre qu’en restant en bonne intelligence avec le radicalisme, en faisant chaque jour des concessions nouvelles, de peur de paraître suspect à