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Il y en aurait long à dire sur cette opinion, qui intéresse plus qu’on ne le croit les sociétés non aristocratiques ; nous ne voulons, pour le moment, nous y arrêter que pour faire remarquer à son sujet l’incertitude et le va-et-vient des doctrines du pauvre esprit humain. Il y a quelque quarante ans, à l’époque de notre jeunesse, cette opinion de l’ancienne noblesse sur elle-même était non-seulement tenue pour surannée, gothique et superstitieuse, mais regardée comme une preuve d’incorrigible et ridicule infatuation. Ah ! que de bonnes plaisanteries se débitaient alors sur les barons à trente-six quartiers ! Que de saillies sarcastiques sur ce prétendu droit de naissance, plus choquant pour le bon sens que ne l’était même le prétendu droit divin des rois ! Quelles tirades philosophiques indignées contre ce qu’une telle prétention avait d’insultant pour le vrai mérite ! Que de contrastes éloquens entre l’individu qui est l’ouvrier de sa propre fortune et le noble qui, pour tout mérite, ne pouvait montrer qu’un parchemin rongé des vers ! Mais la roue du temps a tourné et de nouvelles doctrines ont surgi avec Darwin et Herbert Spencer, avec les psychologues à toute outrance et les physiologistes intransigeans, doctrines qui ont si bien remplacé les anciennes et les ont démontrées si insuffisantes que ces dernières ont perdu toute autorité dans le monde de la science, de la spéculation philosophique et de la critique, et que, pour leur trouver encore quelques adhérens, il faut les chercher ailleurs que dans les régions où l’on pense véritablement. Cependant, parmi ces anciennes doctrines que les nouvelles ont rejetées dans le bric-à-brac du passé, il en est une qui est restée debout, et j’ai le regret de révéler à MM. les darwiniens et spenceriens qui se réclament de la démocratie, — le nombre de ces penseurs inconséquens ou médiocres logiciens est encore assez considérable, — que c’est précisément cette opinion des anciennes classes aristocratiques sur la manière dont la noblesse se crée et se perpétue. Elles disaient que la noblesse s’attachait à certaines familles de préférence à certaines autres et à l’exclusion du plus grand nombre, c’est-à-dire que cette vertu ou qualité s’était choisi les organes qui pouvaient le mieux lui prêter vie, force et puissance. Eh ! mais il nous semble que c’est là de la sélection au premier chef, car que dit de plus cette doctrine sur les méthodes par lesquelles la vie se cherche ses expressions les plus parfaites par la concentration de tous les élémens de force et de santé chez certains individus privilégiés et certaines espèces mieux armées, et par l’élimination des faibles au profit des forts ? Elles disaient encore, ces anciennes castes, que l’individu pouvait bien jeter les fondemens de la noblesse, mais que la noblesse n’existait réellement que lorsqu’elle passait de l’individu au genre, parce qu’en se généralisant ainsi