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l’endurance silencieuse à laquelle sa timidité la condamnait par de violens accès de colère, et alors le monde disait : c’est une folle, mad Madge of Newcastle. Mais passons-lui la parole quelques minutes ; elle-même a décrit quelques-uns des caractères de son infirmité, et elle l’a fait en termes excellens.


Je suis naturellement timide. Ce n’est pas que je sois honteuse de mon esprit ou de mon corps, de ma naissance ou de mon éducation, de mes actions ou des événemens de ma vie, cette timidité est dans ma nature et ne vient d’aucun crime. J’ai eu beau faire effort sur moi-même et me raisonner, j’ai trouvé que ce qui était inné était trop difficile à déraciner. Je ne me suis jamais aperçue que ma timidité eût souci de la qualité des personnes, mais seulement de leur nombre, car s’il me fallait entrer dans une compagnie de Lazares, je serais aussi décontenancée que s’ils étaient tous des Césars ou des Alexandres, des Cléopâtres ou des reines Didons. Je crois aussi avoir remarqué que ma timidité se traduit moins souvent par des rougeurs qu’elle ne contracte mes esprits en froides pâleurs. Mais, circonstance heureuse, cette timidité d’ordinaire a le temps de s’évanouir, de renaître et de s’évanouir encore avant d’être remarquée, et plus je juge la compagnie dans laquelle je me trouve folle et méprisable, et plus mal à l’aise je suis, en sorte que le meilleur remède que j’aie jamais pu trouver est de me persuader que toutes les personnes que je rencontre sont sages et vertueuses. La raison en est, je crois, que les sages et les vertueux censurent moins, excusent davantage, louent mieux, estiment droitement, jugent justement, se comportent avec politesse, agissent respectueusement, et parlent modestement, tandis que les sots et les indignes sont aptes à commettre des absurdités, et portés à être effrontés, grossiers, impolis, tant en paroles qu’en actes, oubliant ou ne comprenant pas bien ce qu’ils sont et ce qu’est la société où ils se trouvent. Et bien qu’il ne m’arrive jamais de me trouver avec de telles sortes de gens mal élevés, cependant j’en ai par nature une telle aversion que je redoute de les rencontrer, comme les enfans ont peur des esprits, ou comme d’autres ont peur de voir et de rencontrer des diables, ce qui me fait penser que ce défaut naturel qui est en moi (si c’est un défaut) est plutôt crainte que timidité. Mais qu’il soit ceci ou cela, je l’ai trouvé fort gênant, car il a souvent empêché mes paroles de sortir et troublé mes actions naturelles, me forçant à me contraindre ou à me laisser aller à des mouvemens désordonnés. Toutefois comme c’est plutôt crainte des autres que peureuse défiance de moi-même, je désespère d’une guérison complète, à moins que la nature aussi bien que les gouvernemens humains n’arrivent à un état de civilisation et d’ordre méthodique, où les paroles et les actions seront régies par le