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providence, si ces marchands montrèrent tant de sympathie, de respect et d’honneur à mon seigneur, un étranger à leur nation, si malgré sa ruine et le peu d’apparence qu’il y avait qu’il recouvrât jamais son bien, ils consentirent à lui faire crédit partout où il vécut, en France, en Hollande, en Brabant, en Allemagne, de manière à lui permettre, à lui banni de sa patrie, dépossédé de son avoir, de vivre avec autant de splendeur et de grandeur qu’il le lit. »

Sir Charles Cavendish, un peu moins compromis que son frère, était aussi dans de meilleures conditions de fortune. Ses biens n’avaient été mis que sous une sorte de demi-séquestre, et, après la déroute finale des royalistes en Écosse, le parlement lui fit savoir qu’ils allaient être vendus sans délais s’il ne se hâtait de revenir en Angleterre composer avec le gouvernement. Son premier mouvement fut de se refuser à toute transaction, mais il en fut empêché par Édouard Hyde, sur la demande de Newcastle, et il fut décidé qu’il partirait en compagnie de la duchesse, qui, de son côté, essaierait d’arracher au parlement la part de propriété qu’il reconnaissait sur les biens séquestrés de la plupart des proscrits à leurs femmes et à leurs enfans. Ce fut un mélancolique voyage. En arrivant en Angleterre, ils étaient si peu munis d’argent qu’ils furent forcés de faire halte à Southwark, et que, pour payer leurs dépenses d’hôtellerie, sir Charles dut mettre sa montre en gage, un de ses ex-intendans n’ayant même pas pu lui procurer la petite somme nécessaire à cet effet. À Londres, elle retrouva ses sœurs et son frère aîné, mais que de deuils et que de ruines dans sa famille depuis son départ ! Tous avaient vu leurs demeures détruites ou en avaient été violemment séparés. Lady Lucas était morte après avoir aussi vaillamment que vainement résisté aux assauts répétés des Têtes rondes qui lui rendaient de temps à autre de coûteuses visites, d’où ils revenaient approvisionnés de blé et de bétail, après force abatis de bois pour les nécessités de leur chauffage. Son frère cadet, sir Thomas Lucas, était mort d’une blessure reçue en Irlande. Plus lugubre encore avait été le sort de son plus jeune frère, sir Charles Lucas. Il avait été parmi les plus acharnés défenseurs de Colchester, et lorsque, après la défaite de Worcester, la ville, n’espérant plus aucun secours, eut été obligée de se rendre, il avait été exclu, avec un de ses compagnons d’armes, sir George Lisle, des garanties de la capitulation, et fusillé au pied des remparts par Ireton, le gendre de Cromwell. Cette exécution sommaire eut un si grand retentissement et produisit un tel effet de terreur sur les imaginations populaires que la légende s’en empara immédiatement. Quelques années après, John Evelyn, revenant de cet interminable voyage sur le continent qui lui rendit le