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secrète ce titre de la jolie comédie de Goldsmith : She stoops to conquer. Elle parut une fois, en compagnie de son frère lord Lucas, au comité chargé des mesures concernant les biens des proscrits, y reçut la réponse que nous avons dite, se tourna vers son frère pour lui demander de la conduire hors de ce lieu par, trop ungentlemanly, et n’y retourna plus. Cependant, il paraît que les cancans de Londres la représentèrent courant de comité en comité : « Sois froide comme la neige, chaste comme Diane, tu n’échapperas pas à la calomnie, » dit Hamlet à Ophélia. La duchesse s’indigne de ces commérages et les dément, mais, en le faisant, elle nous révèle un détail important des mœurs d’alors ; c’est que les conséquences de la guerre civile et l’omnipotence du parlement non-seulement avaient fait pulluler les solliciteuses, mais avaient fait naître une classe inconnue auparavant de femmes d’affaires. « Les coutumes de l’Angleterre sont changées aussi bien que ses lois, puisque maintenant les femmes deviennent plaideuses, avocates, pétilionneuses, et autres choses semblables, colportant partout leurs causes propres, se plaignant de leurs griefs propres, s’exclamant contre leurs ennemis particuliers, se vantant des diverses faveurs qu’elles ont reçues des puissans,.. je n’entends pas parler ici des nobles, vertueuses, discrètes et dignes personnes que la nécessité force à se soumettre, à consentir, à poursuivre leurs réclamations, mais de celles qui n’ont rien à perdre et qui font leur métier de solliciter. » Plus heureux que sa belle-sœur, sir Charles Cavendish réussit à reconquérir ses biens, moyennant une composition de 5,000 livres sterling, et s’empressa aussitôt de racheter aux prix les plus onéreux les deux principales résidences de son frère, Wolbeck et Bolsover, et ce fut une compensation de l’insuccès de la duchesse pour ce séduisant Newcastle que la fortune la plus adverse ne regarda jamais sans un sourire.

Ce voyage d’Angleterre ne fut cependant pas perdu pour la duchesse. Elle avait toujours aimé à écrire, et, dans les années qui avaient précédé son voyage, elle avait produit un in-folio qui s’appelait World’s Olio (Olla podrida du monde) ; mais dans les nombreux loisirs que lui faisait ce séjour prolongé à Londres, loin de son adoré seigneur, la rage de l’écritoire s’empara d’elle avec une violence sans merci. C’est de cette époque que date chez elle l’ambition littéraire, car la duchesse n’écrivait pas, comme d’autres grandes dames, pour le jeu et le plaisir : elle écrivait par ambition de se conquérir une renommée qui fît vivre sa mémoire ; elle en fait l’aveu, et dans ces termes mêmes. Elle écrivit à Londres des poèmes, des fantaisies philosophiques, des allégories morales, des essais de drames et de comédies et toute la copie