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I

Le vice de notre situation politique, selon beaucoup de bons esprits, c’est que, en face d’une majorité intolérante et tyrannique, il ne se rencontre qu’une opposition inconstitutionnelle. Par cela seul, l’opposition s’est enlevé toute prise sur le pays, toute action sur le gouvernement. Antirépublicaine, la république la condamne à l’impuissance. Le pays, effrayé de tout ce qui lui semble une révolution, se défie d’une droite dont il appréhende une révolution. Les conservateurs attitrés ont ainsi, contre eux, l’instinct conservateur des masses. D’autre part, la majorité, retranchée dans le pouvoir comme dans une forteresse, se réjouit d’être en droit d’exclure la minorité. Elle traite les opposans en rebelles, avec lesquels toute transaction est trahison. Elle se vante de représenter seule l’ordre légal, et la république se confond avec un parti qui, sous prétexte de la défendre, se croit tout permis. Entre cette gauche et cette droite, irréconciliables par leur principe et presque également intransigeantes, les hommes modérés, les rares politiques moins soucieux des intérêts de partis que des intérêts du pays, se trouvent isolés et comme perdus. Or, l’effacement des modérés au profit des violens est le pire mal qui puisse frapper un pays libre.

À ce mal, quel remède ?

Il en est un fort simple en apparence ; le premier docteur appelé en consultation le recommandera. Voulez-vous reprendre, dans le pays et dans la chambre, une influence légitime ? dit-on aux conservateurs, placez-vous sur le terrain constitutionnel. Venez à la république, jetez la violette impériale ou la rose de France, laissez là l’aigle ou les fleurs de lis, emblèmes surannés, pour le R. F., seules armes de la France nouvelle. Donnez à la république une droite républicaine : opposition aujourd’hui, vous pourrez être le pouvoir demain. Vos adversaires se verront contraints de compter avec vous, et, en attendant que vous puissiez gouverner vous-mêmes, vous permettrez la formation de ministères modérés qui gouverneront avec vous.

L’avis est excellent ; par malheur, il est de ces conseils moins aisés à suivre qu’à donner. Les partis sont des corps d’armée sur le champ de bataille, et il est toujours périlleux de changer de cocarde ou de drapeau au milieu du combat : on risque de jeter la confusion parmi ses troupes, de n’être plus reconnu de ses soldats ou d’être abandonné d’une partie de ses bataillons.

Certes, il serait à désirer que les partis eussent un terrain commun. Le jour viendra, Dieu nous garde d’en désespérer ! où, dans