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poursuivait ne saurait échapper à personne. Elle voulait d’abord établir sa petite-fille et lui assurer une couronne, mais ce que ce grand diplomate en jupons avait surtout en vue, c’était d’assurer à la Russie une influence prédominante à Stockholm. Si Catherine avait réussi, il est assez probable que l’histoire moderne eût pris dans le Nord une toute autre tournure. Protégé par la Russie, le malheureux Gustave IV n’eût probablement pas perdu la Poméranie, la Finlande et sa couronne, et Bernadotte, le seul lieutenant de Napoléon qui fonda une dynastie, n’eût jamais été roi de Suède. D’autre part, la grande-duchesse Alexandrine, qui évidemment aimait le jeune roi, eût été vraisemblablement plus heureuse qu’elle ne le fut en épousant plus tard l’archiduc Joseph., palatin de Hongrie. Quoi qu’il en soit, le mémoire que Catherine traça de sa propre main fixera l’attention de l’historien, puisqu’il y devinera l’art consommé et le talent hors ligne que Catherine a déployé dans toutes les négociations politiques de son long règne.

Nous donnons ce mémoire in extenso avec ses annexes en priant le lecteur de se rappeler que c’est Catherine elle-même qui parle :

« Le 24 d’août, le roi de Suède, avec moi sur un banc, dans le jardin Taurique, me demanda Alexandrine. Je lui dis qu’il ne pouvait me la demander, ni moi l’écouter, parce quïl avait des engagemens avec la princesse de Mecklembourg. Il m’assura qu’ils ‘étaient rompus. Je lui dis que j’y penserais. Il me pria de sonder si ma petite-fille n’aurait pas de la répugnance pour lui, ce que je promis bien de faire et lui dis qu’au bout de trois jours je lui donnerais ma réponse. Effectivement au bout de trois jours, après avoir parlé à père, mère et, à la demoiselle, au bal du comte de Stroganof, je dis au comte de Haga que je consentirais à son mariage, à deux conditions. La première, que les engagemens mecklembourgeois fussent finalement arrangés, la seconde que ma petite-fille Alexandrine restât dans la religion dans laquelle elle est née et élevée. Sur la première, il dit que ceci ne souffrait aucun doute ; pour la seconde, il fit tout au monde pour me persuader que c’était impossible, et nous nous séparâmes, chacun restant de son avis. Ce premier entêtement dura dix jours, et toutes les Excellences suédoises n’étaient pas de l’avis du roi. Enfin, je ne sais comment ils parvinrent à le persuader. Au bal de l’ambassadeur, il vint me dire que l’on avait levé tous les scrupules qui s’étaient élevés dans son esprit au sujet de la religion. Voilà donc que tout paraissait arrangé ! En attendant j’avais dressé l’écrit numéro 1, et, comme je l’avais en poche, je le lui remis et lui dis : « Je vous prie de lire avec attention cet écrit, il vous confirmera dans les bonnes dispositions dans lesquelles je vous trouve. »