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Écoutons la comtesse *** :

« Le comte Marcof m’a dit que l’impératrice fut tellement affligée de la conduite du roi qu’à la seconde réponse on avait tant lieu de craindre un coup d’apoplexie.

« Le lendemain était un jour de fête. Un bal paré fut ordonné dans la galerie blanche. Le roi de Suède y parut triste et très embarrassé. L’impératrice avait une contenance parfaite et lui parla avec toute l’aisance et, la noblesse possibles. Le grand-duc Paul était furieux et jetait des yeux foudroyans au roi, qui partit quelques jours après. »

Quelque profonde que fût la mortification que l’échec de sa diplomatie personnelle lui avait fait éprouver, Catherine ne parla pas à Grimm du brusque départ du jeune roi de Suède. L’énergie indomptable de cette femme étonnante ne parut cependant pas abattue par cette déconvenue. Après un silence de six semaines, elle reprit la plume une dernière fois, et adressa à son souffre-douleur la lettre suivante, dans laquelle s’exhalent son mépris pour Frédéric-Guillaume II, roi de Prusse, et la haine que lui inspiraient les républicains français. Cette lettre curieuse révèle les idées noires qui assombrissaient les derniers jours de cette altière souveraine.


Ce 20 d’octobre 1796.

J’ai reçu hier et avant-hier par Kolitchef et Jakovlef les lettres que vous m’avez adressées ; je n’ai pas le temps d’y répondre, parce que j’en ai reçu aussi d’Angleterre et de Perse, qui, quoique très satisfaisantes en tout point, ne laissent pas de donner de l’occupation. Le roi de Prusse arme ; qu’en pensez-vous ? Contre qui ? contre moi. Pour faire plaisir à qui ? Aux régicides, ses amis, sur lesquels il ne peut compter un moment. Il faut convenir qu’on compromet singulièrement l’honneur et la gloire de ce prince, en lui donnant d’aussi perfides conseils. L’honneur et la gloire n’ont qu’un chemin. J’ai pris la liberté de le lui proposer ; on va le rendre le très humble serviteur des scélérats arrogans, qui, au bout du compte, ne visent qu’à sa destruction. Si par ces arméniens on croit me détourner de la marche de mes troupes aux ordres du maréchal Souvarof, on se trompe très fort, car malgré cela je resterai ferrée de tous les côtés possibles, sans exception aucune. Je prêche et prêcherai cause commune à tous les rois contre les destructeurs des trônes et de la société, malgré tous les adhérens du misérable système contraire, et nous verrons qui prendra le dessus : la raison ou le déraisonnement des perfides partisans d’un système exécrable, qui par lui-même exclut et foule au pied tout sentiment de religion, d’honneur et de gloire. En voilà bien assez pour vous dire