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renseignemens pris près des intéressés qui peuvent mettre sur la trace d’un crime, et la preuve, c’est que, la plupart du temps, lorsque la justice intervient, ce n’est que longtemps après la mort et quand son attention a été éveillée par la rumeur publique ou par des révélations inattendues.

Pour constater, avant la crémation, l’absence ou la présence d’un poison, il faudrait procéder à l’autopsie et à l’expertise chimique des organes essentiels. Ces recherches sont extrêmement délicates ; elles n’ont de valeur que lorsqu’elles sont faites par des hommes ayant acquis à cet égard une véritable expérience scientifique, alors même que le champ des recherches est limité par une instruction judiciaire ; à fortiori, lorsqu’elles ont lieu en l’absence de toute indication préliminaire.

On pourrait, à la rigueur, donner ces garanties à la justice, s’il s’agissait d’opérations rares, exceptionnelles ; cela serait déjà difficile dans les conditions actuelles et deviendrait impossible si les demandes d’incinération se multipliaient quelque peu. « Dans ce cas, dit M. Brouardel, les criminels pourraient trouver dans la crémation une sécurité qu’ils ne rencontrent pas dans les procédés actuels et qu’il importe de ne pas leur assurer, car elle serait pour les populations une source de dangers plus graves que l’insalubrité reprochée aux cimetières. »

Cet argument a paru prépondérant, en France comme à l’étranger. Sa valeur est incontestable, et cependant ce n’est pas celui qui me touche le plus. J’attache plus d’importance aux raisons d’ordre moral, que j’exposerai lorsque j’en aurai fini avec les difficultés matérielles que présente la crémation.

Il en est une dont on ne paraît pas s’être préoccupé et qui, cependant, a son importance ; c’est celle qu’entraînera la conservation indéfinie des cendres. Les morts qui reposent dans les cimetières ne gênent guère que les apôtres de la crémation ; il n’en serait pas tout à fait de même des restes de leurs prosélytes, s’ils parvenaient à faire accepter leurs idées à la majorité de la population. Supposons, pour un moment, que la nouvelle méthode a remplacé l’inhumation d’une manière complète, ainsi que l’espèrent ses partisans. Les cimetières sont fermés ; une quinzaine de fours fonctionnent en tout temps et les urnes s’entassent dans les lieux de dépôt. J’ai donné plus haut le chiffre moyen des décès de la ville de Paris et les dimensions des cassettes adoptées par la ville. Eh bien ! j’ai calculé qu’en les arrimant avec le plus grand soin, en les serrant comme des boîtes de conserves dans un magasin de comestibles, elles formeraient chaque année un massif de 1,332 mètres cubes. En les disposant sur des étagères, comme des objets de