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pour prévenir l’infection qui allait se produire aux portes de Paris. L’opération dura quatorze jours.

La crémation s’est une troisième fois associée à nos désastres. Après la bataille de Sedan, on avait enfoui les morts dans des fosses remplies jusqu’à fleur de terre. Au printemps suivant, sous l’influence des premières chaleurs, des exhalaisons infectes s’en échappèrent, et le gouvernement belge, d’accord avec les autorités françaises, nomma une commission pour étudier les moyens de prévenir ce danger. Celle-ci ne trouva rien de plus sur, de plus expéditif et de plus économique que l’emploi du feu. M. Créteur, le chimiste chargé de cette besogne, y procéda sur place et sans exhumation, en versant dans les fosses du goudron de houille qui s’insinuait jusque dans leur profondeur, et en y mettant le feu. Ce moyen réussit d’une façon complète. Les Allemands voulurent aussi purifier par les flammes les champs de bataille des environs de Metz ; mais, après quelques essais infructueux, ils y renoncèrent. Ils ont du reste de la répugnance pour ce mode de destruction. Lors des opérations faites par M. Créteur sous les murs de Sedan, ils s’opposèrent à ce qu’on appliquât les mêmes procédés aux corps de leurs compatriotes.

Les Anglais, dans les guerres de l’Inde, ont habituellement recours au feu pour détruire les cadavres, et cela se conçoit dans un pays aussi chaud et aussi insalubre. Pendant la lutte terrible qu’ils ont eu à soutenir contre les cipayes révoltés, ils allumaient de grands feux après chaque affaire et y faisaient jeter les morts par les prisonniers. Enfin, les Serbes dans leur dernière guerre contre les Turcs ont eu souvent recours au même moyen.

Ce sont là, je crois, les seuls cas dans lesquels on ait eu recours à la crémation en temps de guerre, et les circonstances justifiaient pleinement son emploi. En Russie, sous les murs de Paris comme à Sedan, les hostilités avaient cessé et on disposait des moyens nécessaires pour procéder sans précipitation à ces opérations délicates. En serait-il de même en cours de campagne, au milieu des opérations rapides, des collisions gigantesques d’une guerre européenne ? Les partisans de la crémation le pensent. Ils ont même imaginé des crématoires ambulans destinés à suivre les armées, comme les fours de campagne. On en a vu figurer plusieurs à l’exposition de Bruxelles, et celui du docteur Hyacinthe Kuborn y a surtout été remarqué. C’est une grande caisse métallique contenant tout l’appareil a incinération, montée sur un châssis à deux essieux susceptibles de s’adapter à des roues de chemins de fer, ou à des roues à jantes plates pour circuler sur les voies ordinaires.

Ces crématoires ambulans sont très ingénieux sans doute, mais