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république. Ils ont, bon gré mal gré, tous les inconvéniens du régime, et ils s’en refusent les avantages ! Ils se mettent quelquefois dans l’impossibilité de défendre utilement les intérêts conservateurs qui leur sont justement chers, tandis que cette politique plus modeste, plus pratique, avouée aujourd’hui par les « indépendans, si elle eût été suivie résolument depuis longtemps, eût sans doute bien mieux servi ces intérêts. Ce qu’il y a de curieux, c’est que ces malheureux « indépendans, » suspects aux conservateurs à outrance, ne le sont pas moins aux républicains eux-mêmes. Les radicaux n’ont pas assez de foudres, assez de railleries contre ces modérés qui ont la naïveté d’invoquer la garantie des « institutions existantes. » De même que certains conservateurs se retranchent dans un non possumus perpétuel, ces républicains privilégiés ont leur forteresse dont ils prétendent garder les portes. Pour eux, la première chose à faire, si on veut entrer dans le régime, c’est d’abdiquer toute indépendance, de souscrire aux lois scolaires, à la loi militaire, de subordonner la volonté de la France elle-même à leur orthodoxie. Le premier article de leur programme, c’est que la république est au-dessus de tout, même au-dessus des votes du pays, et la république se résume dans une domination de secte. Hors de là, il n’y a place pour personne, ni pour libéraux, ni pour conservateurs, pas plus pour M. Léon Say que pour M. Piou. A la bonne heure, on ne s’attendait pas à moins !

En réalité, que signifie tout ce tapage soulevé un moment dans le monde où on s’agite par le récent manifeste des « indépendans ? » Ces contradictions mêmes prouvent que l’acte de modération sensée accompli par des hommes de bonne volonté a frappé juste et lui donnent tout son caractère. Il ne répond pas aux impatiences et aux exigences des partis extrêmes, c’était à prévoir. Il est né du sentiment de cette situation nouvelle créée par les élections dernières ; il répond ace mouvement d’opinion qui s’est manifesté, qui se manifeste encore un peu partout, à cet instinct profond du pays qui a dit aussi clairement qu’il le pouvait, qu’il ne voulait ni révolution ni politique révolutionnaire et sectaire dans la république, qu’il ne demandait que l’apaisement, l’ordre dans ses affaires morales comme dans ses finances. C’est là tout et c’est assez, si les modérés de toutes nuances, qui sont plus nombreux qu’on ne le croit, savent se conduire. Ce qu’ils ont de mieux à l’aire aujourd’hui, tous ces modérés encore un peu épars, assez disposés à se rallier, c’est de ne se laisser décourager ni par les railleries, ni par les prétentions des partis, de se refuser à toutes les complicités périlleuses ; c’est de maintenir avec fermeté la position qu’ils ont prise en s’appuyant sur l’opinion et le pays.

Au milieu de ce bruit de polémiques, de ces questions stériles qui l’occupent, la divisent et l’épuisent, cependant, la France, sans y songer, serait-elle près de recommencer quelque campagne coloniale ?