Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est que, pour expédier les affaires courantes, on ne saurait se passer d’eux ; mais, demain peut-être, on cessera de les croire indispensables ; sur une dénonciation politique, ou pour placer un favori politique, on les mettra, par anticipation, à la retraite. Désormais ils ont deux puissances à ménager, l’une légitime et naturelle, l’autorité de leurs chefs administratifs, l’autre illégitime et parasite, l’influence démocratique d’en haut et d’en bas ; pour eux, comme pour le préfet, l’intérêt public descend au second rang, et l’intérêt électoral monte au premier ; chez eux et chez lui, le respect de soi-même, l’honneur professionnel, la conscience d’un devoir à remplir, la fidélité réciproque, sont en baisse ; la discipline se relâche, l’exactitude fléchit et, selon un mot qui se propage, la grande bâtisse administrative n’est plus une maison bien tenue, mais une baraque. — Naturellement, sous le régime démocratique, le service et l’entretien de cette maison deviennent de plus en plus dispendieux ; car, par l’effet des centimes additionnels, c’est la minorité aisée ou riche qui paie la plus grosse part des frais ; par l’effet du suffrage universel, c’est la majorité pauvre ou demi-pauvre qui a la part prépondérante dans le vote, et le grand nombre qui vote peut impunément surcharger le petit nombre qui paie. A Paris, le parlement et le gouvernement, élus par cette majorité numérique, lui inventent des besoins, la poussent aux dépenses, prodiguent les travaux publics, les écoles, les fondations, les gratuités, les bourses, multiplient les places pour multiplier leurs cliens, et ne se lassent pas de décréter, au nom des principes, des œuvres d’apparat, théâtrales, ruineuses et dangereuses, dont ils ne veulent pas savoir le coût et dont la portée sociale leur échappe. En haut comme en bas, la démocratie a la vue courte ; sur la pâture qui s’offre, elle se jette, comme l’animal, bouche ouverte et tête baissée ; elle refuse de prévoir et de compter, elle obère l’avenir, elle gaspille toutes les fortunes qu’elle entreprend de gérer, non-seulement celle de l’État central, mais encore celles des sociétés locales. Jusqu’à l’avènement du suffrage universel, les administrateurs nommés d’en haut ou élus d’en bas, au département et à la commune, tenaient serrés les cordons de la bourse ; depuis 1848, surtout depuis 1870, mieux encore depuis la loi de 1882 qui, en supprimant le consentement obligatoire des plus imposés, a relâché les derniers cordons de la bourse, cette bourse, ouverte, se déverse sur le pavé[1]. En 1851, les départemens tous ensemble dépensaient 97 millions, en 1869, 192 millions, en 1881, 314

  1. De Foville, p. 412, 410, 425, 455 ; Paul Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, I, p. 717.