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sont impuissans à extirper de front. Est-il besoin de rappeler Constantin choisissant pour étendard ce Labarum qui pouvait être revendiqué à la fois par le culte du Christ et par celui du Soleil ? Il est curieux de trouver la même politique attribuée au premier roi chrétien de la Norvège. Suivant un vieux chant des îles Shetland, Hakon Adalsteinfostri, forcé de boire à Odin, dans un banquet officiel, traça rapidement sur la coupe un signe de croix, et, comme ses convives lui en faisaient le reproche, il leur dit que c’était le signé du marteau de Thor. Nous savons, en effet, que dans les pays germaniques et Scandinaves, la croix du Christ s’est plus d’une fois dissimulée sous la forme du marteau à deux têtes, comme en Égypte elle revêtit, dans plus d’une inscription, l’aspect de la clé de vie.

Ces adaptations symboliques ont été surtout fréquentes dans le bouddhisme, qui ne s’est jamais gêné pour accepter les symboles et même les rites des religions antérieures ou voisines. Dans certains de ses sanctuaires, il a été jusqu’à sculpter les cérémonies du culte rendu par les indigènes de l’Inde au soleil, au feu, aux serpens, en rattachant ces rites à ses propres traditions. La roue solaire devint ainsi la roue de la loi ; l’arbre sacré représenta l’arbre de la science sous lequel Çakya-Mouni atteignit l’illumination parfaite ; le serpent naga à sept têtes fut transformé en gardien de l’empreinte laissée par les pieds de Vishnou, elle-même désormais attribuée au Bouddha, etc. Il y a quelques années on découvrit à Bharut les restes d’un sanctuaire bouddhique où des bas-reliefs reproduisaient des emblèmes et des scènes religieuses, avec des inscriptions qui leur servaient de légende ou plutôt d’étiquette. A cette nouvelle, la joie fut grande parmi les archéologues anglo-indiens. On allait donc posséder une interprétation des rites et des symboles bouddhiques, formulée, par les bouddhistes eux-mêmes, un ou deux siècles avant notre ère. Il fallut malheureusement en rabattre, quand un examen plus minutieux fit reconnaître qu’on avait là tout simplement un ancien temple du soleil, ultérieurement accaparé par les bouddhistes. Ceux-ci s’étaient contentés de mettre sur les représentations figurées du culte solaire des inscriptions qui les rattachaient à leur propre foi.

On est allé jusqu’à dire que les religions changeaient,. mais que le culte restait le même. Ainsi formulée, la thèse est trop absolue ; mais il est certain que chaque religion conserve, dans ses rites et ses symboles, des survivances de toute la série des religions antérieures. Et il n’y a pas de grief à lui en faire. L’important, ce n’est pas l’outre, c’est le vin qui s’y verse ; ce n’est pas la forme, c’est l’idée qui l’anime et qui la dépasse. Quand les chrétiens et les