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assentiment. Nous avons le récit de l’assemblée qui se tint à cette occasion dans l’église de la Paix d’Hippone, le 26 septembre de l’an 426. C’est un procès-verbal en forme, tout à fait semblable aux actes officiels, rédigé par les sténographes (notarii) de l’église, et signé par les principaux assistans. Il nous met la scène sous les yeux, comme elle s’est réellement passée. L’évêque est dans sa chaire épiscopale, élevée de quelques marches au-dessus du sol, au fond d’une abside. Deux évêques, ses confrères, siègent à ses côtés ; . ils sont venus pour lui faire honneur et donner plus d’importance à la cérémonie. Ses prêtres sont rangés autour de lui ; la foule, prévenue la veille qu’une grande question va être traitée, remplit la basilique. Saint Augustin prend la parole ; il parle mélancoliquement de son grand âge : « Dieu l’ayant voulu, dit-il, je suis venu en cette ville dans la vigueur de la vie ; j’étais jeune, et maintenant me voilà vieux. » Un malheur peut être vite arrivé ; il est bon de le prévoir et de le prévenir. Pour épargner à son église les troubles qui pourraient la déchirer, quand elle aura perdu son évêque, il croit utile de désigner d’avance son successeur. Il va donc leur déclarer sa volonté, qu’il croit être celle de Dieu : il a fait choix du prêtre Héraclius. Ici, les acclamations de la foule l’interrompent ; on lui souhaite une longue vie ; on ne veut que lui pour père, pour évêque. Il reprend pour faire l’éloge de celui qu’il a nommé et demander au peuple de vouloir bien approuver son choix. Le peuple répond par ces acclamations qui étaient en usage dans le sénat de Rome, et probablement aussi dans les conseils de décurions des villes municipales. Ce sont des formules prononcées sans doute par quelque personnage important et qu’on reprenait en chœur un grand nombre de fois, d’après un rythme convenu. « Le peuple s’est écrié : « Nous vous rendons grâces de votre choix. » Cela a été dit seize fois. Ensuite le peuple a dit douze fois : « Que cela se fasse ! » et six fois : « Vous pour père ; Héraclius pour évêque. » Le dialogue se poursuit encore quelque temps. Saint Augustin veut qu’il n’y ait pas de surprise ; il désire que l’assentiment du peuple soit sincère et complet. Il n’est satisfait qu’après l’avoir entendu redire vingt-cinq fois : « Que cela se fasse ! il en est digne ! » La cérémonie alors est achevée, et la pièce se termine par ces mots : « Le silence s’étant rétabli, Augustin, évêque, a dit : il est temps de remplir nos devoirs envers Dieu en lui offrant le sacrifice ; durant cette heure de supplication, je vous recommande de ne vous occuper d’aucune de vos affaires particulières et de prier uniquement le Seigneur pour cette église, pour moi et pour le prêtre Héraclius. » Tel est ce procès-verbal important qui, sous sa forme officielle et froide, est si plein d’enseignemens pour nous.