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jeunes gens et de vieillards, » se mettant en contradiction directe avec les autres historiens qui se plaignent tous de la dépopulation de l’empire. Il fait aussi remarquer avec complaisance que, dans les dernières années, les dissensions intestines ont été vite comprimées et que les victoires remportées par les empereurs contre leurs sujets rebelles ont coûté peu de sang ; mais il oublie de nous dire que, s’ils ont eu assez facilement raison des révoltes intérieures, ils ont été honteusement vaincus par les ennemis du dehors. Ce qu’il y a de plus fort, c’est qu’il voudrait nous faire croire que la nature elle-même semble avoir adouci ses rigueurs en faveur des gens de cette époque : il y a toujours, nous dit-il, des invasions de sauterelles en Afrique, mais elles sont devenues moins voraces et ne font plus que des ravages modérés, tolerabiliter lœdunt. En Sicile, l’Etna ne lance plus des flammes comme autrefois ; s’il continue à fumer, c’est afin qu’on ne perde pas le souvenir de ses anciennes éruptions et qu’on jouisse mieux du plaisir d’en être délivré. Quant aux Goths, aux Alains, aux Vandales, qui depuis dix ans ravagent tout le pays entre le Rhin et la mer, il faut bien qu’il se résigne à en dire un mot. Il lui est d’autant plus impossible de les passer sous silence qu’il sait par son expérience personnelle comment ils traitent leurs ennemis. Il nous apprend qu’il s’est fait avec eux des affaires désagréables, qu’ils lui ont tendu des pièges, qu’ils l’ont poursuivi pour le tuer et qu’il ne leur a pas échappé sans peine. Et pourtant ces dangers, qu’il a courus, et dont il paraît encore tout effrayé, ne parviennent pas à ébranler son optimisme systématique : « Après tout, nous dit-il, ce sont là de légères épreuves, des avertissemens que Dieu envoie dans sa bienveillance, clementissimœ admonitiones. On y est sensible parce qu’on a pris le goût du bien-être, qu’on est amolli par l’habitude des plaisirs et qu’à force de vivre sous un ciel serein, on ne peut plus supporter l’ennui d’un nuage qui passe. »

Il y a là certainement de grandes exagérations. Le bon Orose a mis trop de zèle à soutenir la thèse dont il s’était chargé, et je doute que saint Augustin ait entièrement approuvé ce zèle excessif de son disciple. En réalité, cette époque est une des plus tristes de l’histoire. Sans doute, l’invasion n’atteignit pas tous les pays à la fois ; les Barbares n’étaient pas assez nombreux pour occuper d’un coup tout l’empire ; Orose a donc raison de dire qu’il y avait des villes et même des provinces qui échappaient à leurs atteintes et où l’on vivait comme à l’ordinaire. Mais on jouit mal de la sécurité présente quand le lendemain n’est pas sûr. Les barbares étaient proches, et l’on pouvait recevoir leur visite tous les jours. Personne ne garantissant plus la paix publique, tout le monde se sentait menacé dans sa fortune ou dans sa vie, et partout le temps se