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pour devenir chrétien. De son côté, saint Augustin rapporte que, dans la ville de Sitifis, la population effrayée par un tremblement de terre campa cinq jours dans les champs voisins ; et que deux mille personnes y reçurent le baptême. C’est ainsi que les prévisions humaines sont trompées : les misères de ce temps, qui semblaient devoir porter un coup funeste au christianisme, assurèrent sa victoire.

Il n’était donc plus besoin, après Orose, de se donner la peine de réfuter les païens qui avaient cessé de se plaindre ; mais les chrétiens eux-mêmes murmuraient. Ils étaient déconcertés par la tournure que les événemens avaient prise et reprenaient à leur compte l’argument que leurs ennemis avaient longtemps tourné contre eux. Ils se demandaient avec anxiété pourquoi l’empire semblait être l’objet de la colère divine précisément depuis qu’il était devenu chrétien. Comment pouvait-il se faire que des princes pieux, qui comblaient l’église de bienfaits, fussent moins heureux que ne l’avaient été des empereurs infidèles et persécuteurs ? Était-il raisonnable et juste que les armées romaines, toutes composées de chrétiens orthodoxes, fussent vaincues dans les batailles par des barbares, qui étaient païens ou hérétiques ? Ces mécomptes chagrinaient ou indignaient les croyans ; les plus audacieux osaient en conclure qu’on voit bien que Dieu ne s’occupe pas d’un monde qui marche si mal ; les plus timides se contentaient de prétendre qu’il prendra sa revanche au dernier jour, où il remettra les choses à leur place, mais que jusque-là il se désintéresse des hommes et laisse le hasard les gouverner à son gré.

Salvien a entrepris de leur répondre : c’est le sujet de son livre sur le Gouvernement de Dieu, l’un des plus beaux qui aient paru au Ve siècle. Je laisse de côté, dans cet ouvrage, tout ce qui est emprunté à la théologie et à la philosophie. Salvien est un ecclésiastique savant qui connaît bien les Écritures et les interprète d’une façon ingénieuse et subtile, comme on aimait alors à le faire. C’est aussi un lettré, qui a étudié avec soin les auteurs profanes, et tire un bon profit, pour sa thèse, des raisonnemens des stoïciens. Il s’en sert volontiers, nous dit-il, parce qu’il veut convaincre les gens qui, jusque dans le christianisme, conservent quelque goût pour l’incrédulité païenne ; et il n’ignore pas qu’ils sont encore assez nombreux. Toute cette discussion est serrée et brillante, mais elle a le tort d’être moins originale que le reste et de nous rappeler les plus beaux passages de Cicéron et de Sénèque. J’aime mieux arriver tout de suite aux argumens que Salvien tire des événemens de son temps. Il est là au cœur de son sujet, et c’est ce qui devait intéresser surtout ceux qui le lisaient. Son raisonnement est très simple. On accuse la Providence