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couverts de peaux de lions, et qui, pour le combat, se blanchissent la moitié du corps avec du plâtre tandis qu’ils peignent l’autre de vermillon ; puis les Lydiens, presque pareils à des Grecs ; les Caspiens, vêtus de poils de chèvre ; les Chalybiens, dont les casques de cuivre sont ornés d’oreilles et de cornes pareilles à celles des bœufs ; et cent autres nations qui font de cette armée comme un échantillon bariolé de toute la barbarie asiatique et africaine prête à se ruer sur la Grèce. Tout cela est vivement peint, à la fois net et coloré.

Mais comment l’historien se tirera-t-il d’un de ces grands récits de batailles, si complexes, et où la nature même des choses semble exiger du narrateur un coup d’œil aussi large que précis, avec la faculté de sentir pour son propre compte la dramatique émotion des faits et de nous la communiquer ? Les grandes batailles d’Hérodote ressemblent encore à des contes ; contes héroïques et charmans, mais où le détail tient parfois trop de place, où la hiérarchie des faits n’est pas très exactement observée, où le mouvement général est sujet à se ralentir par des épisodes plus amusans que nécessaires, où l’émotion, toujours sincère, semble parfois superficielle ; ajoutons pourtant que la poésie, sans cesse, y jette un rayon, et qu’ils ont ce charme rare d’exposer simplement de très grandes choses. Si l’on compare le récit de la bataille de Salamine dans les Perses d’Eschyle et dans Hérodote, la différence est frappante. La narration d’Hérodote est plus circonstanciée, plus amusante (ce mot revient toujours, quoi qu’on fasse, quand on parle d’Hérodote) : elle contient des oracles, des anecdotes, des épisodes pittoresques. Mais c’est dans le récit d’Eschyle qu’on trouve surtout, avec la netteté des grandes lignes, le pathétique sobre et le mouvement. D’où vient qu’Hérodote, écrivant après Eschyle, n’a pas gardé ces qualités en y joignant les siennes ? C’est d’abord qu’il est Ionien, et que les qualités d’Eschyle sont surtout attiques ; mais c’est ensuite qu’il écrit en prose, et que la prose n’exalte pas encore toutes les facultés de l’esprit comme le fait la poésie : elle n’a pas encore le souffle et elle ne l’aura qu’après Gorgias et Antiphon, avec Thucydide. Le récit de la bataille de Marathon est plus lié, plus composé. La marche des événemens y est claire et sensible. On voit d’abord les divisions des généraux, puis le vote final et les derniers préparatifs : les Athéniens s’élancent en courant ; les principales péripéties de la lutte sont indiquées d’un trait net et simple. La victoire est gagnée. Suit le tableau du retour, l’histoire du bouclier des Alcméonides, puis l’énumération des trophées, des morts illustres, des miracles enfin qui ont accompagné la bataille. Tout ce récit est beau : il est