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Ce qu’il y a de clair, tout d’abord, c’est qu’on est en face d’une journée qui a cela de caractéristique qu’elle est la journée socialiste de l’Europe entière, on pourrait presque dire du monde entier. Depuis longtemps le rendez-vous est pris, le jour a été fixé ; les populations ouvrières de toutes les capitales, de tous les grands centres d’industrie ont été invitées à chômer le 1er mai et à manifester dans la rue ou dans leurs réunions pour les revendications socialistes, pour les huit heures de travail. Huit heures de travail, huit heures de loisir ou de liberté, huit heures de sommeil, c’est le programme ! A Paris, particulièrement, les meneurs sont à l’œuvre depuis quelques jours déjà. Est-ce une fête populaire qui se prépare ? Est-ce le prélude d’une de ces manifestations qui dégénèrent facilement en scènes violentes et en conflits ? C’est l’imprévu pour quelques heures encore. Il y a heureusement bien des chances pour que cette journée de demain soit plus bruyante que réellement périlleuse pour l’ordre de la ville. D’abord il est rare que ces manifestations annoncées si longtemps d’avance, et avec un si grand fracas, réalisent tout ce qu’elles font craindre. De plus, il n’est pas certain que tous les ouvriers, — les ouvriers sérieux et laborieux, — soient disposés à se laisser transformer en agitateurs des rues. Enfin, tout indique que le gouvernement a pris ses mesures pour faire respecter la paix publique et arrêter sur l’heure toutes les tentatives qui deviendraient des séditions. Ce qui en sera, on le saura après-demain ; mais la paix publique fût-elle sauvegardée, comme il faut le croire, ce qu’il y a dans tous les cas de grave, de profondément significatif, c’est l’universalité de cette manifestation, c’est cette sorte d’entente qui met sur pied, à jour et heure fixes, les populations ouvrières de la plupart des pays du monde. Partout, en effet, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, dans les villes d’Italie, en Espagne même, en Angleterre comme en France, la manifestation se produit dans les mêmes conditions, avec le même mot d’ordre, et il y a des pays, l’Autriche par exemple, où elle a été précédée de grèves violentes et multipliées, de collisions sanglantes en Silésie, en Galicie. Les ouvriers autrichiens marchent du même pas que les ouvriers allemands, que les ouvriers belges, que les ouvriers anglais ou français. Le danger de cette journée de demain ne fût-il pas le même partout, ou ne fût-il pas immédiat, il resterait toujours dans cette simultanéité d’action, dans cet essai que le socialisme fait de ses forces en passant pour ainsi dire la revue de ses armées. On assiste à une sorte d’insurrection plus ou moins pacifique de ce qu’on appelle le « quatrième état, » — insurrection qui peut varier suivant les pays, mais qui procède des mêmes idées ou des mêmes passions et obéit au même mot d’ordre.

Cette universalité, cette organisation concertée de l’agitation socialiste est certainement un phénomène curieux, — dont on ne peut pas