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devenues inutiles. On a peine à se figurer aujourd’hui un tribunal, gardien des « canons, » accordant par sentence civile les prières funèbres du prêtre à un défunt. Les canons, tout ce que la puissance laïque peut faire pour eux, c’est d’empêcher que les catholiques qui veulent les pratiquer ne soient troublés dans la libre obéissance qu’ils leur donnent, ce qui revient à garantir tout bonnement l’exercice de la liberté de conscience. Ç’a été avec une curiosité tout archaïque que l’on a vu surgir la prétention, passablement saugrenue, d’un rapporteur du budget des cultes, il y a une dizaine d’années, consistant à exiger la remise à neuf de la déclaration de 1682, chère à Bossuet. On s’est demandé, en souriant, comment un état républicain, qui ne peut imposer à personne la foi catholique tout entière, pourrait imposer des opinions qui n’en font pas partie essentielle, et que même les représentans, hiérarchiquement autorisés de cette foi, déclarent repousser de toutes leurs forces. Quant à la loi du 18 germinal an X, non abrogée en droit, que penserait-on, si quelqu’un en demandait l’exhumation, de cet article 8 qui sommeille dans ses flancs, et qui offre un recours, « comme d’abus, » devant le conseil d’état, « contre tout procédé ou entreprise qui, dans l’exercice du culte, peut compromettre l’honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression ou en injure ? » Qui donc se contenterait, s’il était injurié en chaire par son curé, de faire déclarer par les magistrats du Palais-Royal « qu’il y a abus, » et hésiterait à porter un délit de droit commun devant les tribunaux de droit commun ? Si, au contraire, un plaignant arguait que « sa conscience a été arbitrairement troublée » par le mandement de son évêque ou les remontrances de son confesseur, comment M. Fallières s’en tirerait-il ? Comment saurait-il si le trouble apporté est arbitraire ; et voyez-vous le conseil d’état jugeant de ces matières, lui qui, légalement, n’a pas le droit d’avoir une conscience religieuse ? Ces réflexions, les justiciables ont dû se les faire, car je ne sache pas que la juridiction administrative ait été saisie de pareils procès. Il en a été de même des espérances manifestées par les canonistes laïques, dans la première partie de notre siècle, d’atteindre judiciairement « les supérieurs ecclésiastiques, en raison du pouvoir dont ils jouissent par leurs fonctions, là même où le droit commun ne les atteignait pas. » Quelles qu’elles fussent, quelque forme qu’elles revêtissent, les prétentions de l’État sécularisé à légiférer sur le domaine clérical sont demeurées impuissantes.

Un autre symptôme de séparation tacite des deux pouvoirs, c’est la libre résurrection du clergé régulier. Sous Louis XVI, deux familles religieuses existent, également nombreuses, également