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solde, secrète ou avouée, des diverses puissances. La scission du spirituel et du temporel s’opérant à l’intérieur des états catholiques, — en Espagne, en Italie, en Autriche même comme en France, — s’est faite par contre-coup à Rome et dans les rapports de Rome avec Paris. Plus un gouvernement tient à rester, chez lui, étranger aux choses religieuses et moins il entend laisser la religion prendre place dans la politique, plus aussi il demeure indifférent au choix de celui qui occupera la chaire de saint Pierre. Celui-là, à son tour, n’ayant été ni combattu ni appuyé dans le conclave par aucune nationalité, ne se sent, à l’égard d’aucun cabinet, ces sentimens de gratitude ou de rancune que beaucoup de prédécesseurs de Léon XIII ont eu peine à oublier, en ceignant la tiare, dans les quatre siècles qui précèdent le nôtre.

La perte de ses états ne paraît pas avoir affaibli l’autorité du saint-siège, au contraire ; elle n’a même pas nui à son influence européenne, comme on en a vu de récens exemples. Les catholiques du monde entier peuvent s’affliger de la spoliation qui supprime la principauté ecclésiastique la plus ancienne, puisqu’elle datait de onze cents ans, et la plus illustre, puisqu’elle avait pour titulaire le chef même de l’Église ; les catholiques français ont dû voir, aux temps monarchiques, disparaître avec un égal regret des duchés et des comtés où la crosse avait été longtemps souveraine, dont quelques-uns, celui de Grenoble par exemple, n’avaient pas pour origine la donation d’un tiers, mais bien la conquête qui en avait été faite par un évêque guerrier ; de même les catholiques allemands ont-ils souffert sans doute quand le doigt de Napoléon effaçait de la carte germanique les trois électorats religieux de Mayence, Cologne et Trêves ; mais pas plus pour le pontife suprême que pour ces prélats de diverses tailles, pas plus sur le Tibre que sur le Rhin, l’absence de la souveraineté laïque n’a préjudicié à la puissance spirituelle. Nul doute que, si le duc de Savoie, dont les convoitises sur les états romains ne datent pas d’hier, puisqu’il parait avoir tenté, dès le XVIIe siècle, de les écorner quelque peu, « persuadé, disent les mémoires du temps, que l’augmentation d’un prince zélé au bien de la religion et de l’Eglise, comme lui, serait d’un assez grand avantage au saint-siège pour qu’il souffrît volontairement quelque mal pour un si grand bien, » nul doute que, si ce prince, ou tout autre, eût attenté à quelque portion du « patrimoine de saint Pierre, » les rois catholiques d’autrefois l’en eussent empêché par les armes. Cependant ces mêmes rois, les nôtres en particulier, avaient avec la cour romaine des contentions si vives sur les matières de discipline ou de dogme, que l’on vit durant plusieurs années, sous Louis XIV, des évêques intronisés civilement dans leurs diocèses