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Beaucoup de nos contemporains s’imaginent que le lendemain du jour où l’Église serait autorisée à avoir pignon sur rue, comme une simple compagnie d’assurances, il se trouverait une foule de bonnes âmes pour léguer à « monseigneur » ou à « monsieur le curé » des fortunes entières ; beaucoup voient dans les sacristies des gouffres béans où l’épargne nationale irait d’elle-même s’engloutir. Qu’ils se rassurent ; les séminaires et les fabriques sont à même, depuis 1801, de recevoir des donations régulières ; cependant, les revenus immobiliers des fabriques ne s’élèvent pas à 3 millions (à peu près 70 francs pour chacune) et ceux des séminaires vont seulement à 1 million. Au contraire, les congrégations, la plupart du moins, ne peuvent être l’objet que de libéralités irrégulières, illégales en quelque sorte, elles possèdent néanmoins 35 millions de rente. Les fidèles agissent à leur guise, les facilités comme les prohibitions de la loi ne paraissent pas les influencer beaucoup. Craint-on que la richesse, lors même que l’Église y parviendrait, la puisse armer contre l’État d’une force redoutable ? Ne voit-on pas le faible rôle que joue, dans notre démocratie, la possession du sol, le mince appoint qu’elle apporte à l’autorité particulière d’un homme ou d’une caste ? On citerait, dans tous les partis, des seigneurs de 10 millions fonciers qui ne parviennent pas à représenter leur canton au conseil général. Je ne crois donc pas que l’opulence de ses membres donnerait une prépondérance dangereuse à l’Église, ni que l’Église atteindrait, d’ailleurs, quoique libre d’acquérir, à cette opulence immobilière que l’on redoute.

Et je le regrette. Nous ne sommes plus en 1849 où M. Jules Grévy pouvait dire avec une vertueuse indignation : « Les biens de mainmorte portent le plus grave préjudice à la richesse nationale, parce qu’ils ne produisent pas le tiers de ce que produisent les biens possédés par les particuliers. » Il y a des biens de mainmorte très divers, et ceux que M. Grévy trouvait improductifs sont des biens laïques, les communaux. Pour les biens des communes, le rapport de la valeur à la contenance est comme 60 à 100, il est comme 2,000 à 100 pour les biens des congrégations. Ce qui est nuisible à l’agriculture, ce n’est pas la propriété collective, c’est la jouissance banale du sol par un grand nombre d’individus. Les biens sont-ils donnés à bail à un particulier, chacun devine que les associations, fussent-elles religieuses, ne loueront jamais leurs fermes au-dessous du prix qu’elles en pourront trouver. Il importe donc fort peu à l’agriculture que la portion du sol français, absorbée par la propriété collective, — vulgò la mainmorte, — soit, comme aujourd’hui, de 4,900,000 hectares (sur lesquels 4,550,000 appartiennent aux communes), ou qu’elle s’élève d’un