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bâtiment anglais qui, cinq mois auparavant, déposait Cadoudal au pied de la falaise de Biville. Là, dans l’obscurité, après avoir gravi des rochers escarpés, les complices de Cadoudal trouvaient une retraite. Puis, voyageant de nuit, cachés pendant le jour chez des hôtes royalistes dévoués, ils arrivaient à Paris sans que la police en eût aucun soupçon.

A la suite de quelques arrestations, on sut que Pichegru était à Paris, qu’il avait eu plusieurs conversations avec le général Moreau, qu’il en avait été mécontent et n’avait reconnu chez lui d’autre opinion que beaucoup d’envie et de haine contre le premier consul, et un certain désir qu’il lui survint malheur ; que Cadoudal n’en avait guère été plus satisfait et témoignait également peu de goût pour Pichegru ; qu’il persistait dans le projet d’attaquer le premier consul sur la route de la Malmaison, se croyant avec assurance en force suffisante pour ne pas craindre l’escorte peu nombreuse de la voiture. C’était même dans cette persuasion qu’il demandait la présence du duc de Berry, selon lui plus essentielle que l’intervention de généraux indécis. La police ne réussissait pas à s’emparer de Cadoudal, de Pichegru, de MM. de Polignac et de Rivière. Quant au général Moreau, il ne se cachait pas, puisque, sans ignorer la conspiration, il n’y prenait aucune part. Son attitude en ce moment constituait néanmoins la circonstance la plus grave. Le premier consul n’hésita pas à le faire arrêter, et Savary fut envoyé pour se saisir, au débarquement, du duc de Berry, dont Bonaparte désirait la capture, bien résolu à ne point épargner, malgré son rang et sa naissance, ce prince dont l’arrivée devait être le signal d’un assassinat. Mais on découvrit à Londres que le secret du lieu où aborderait le bâtiment anglais, et des divers refuges où les débarqués auraient asile, avait été acheté ; aussi Savary dut-il revenir après vingt-huit jours d’attente inutile.

Le premier consul préférait pardonner à Moreau et ne pas le comprendre dans des poursuites judiciaires ; son nom ne se trouverait pas ainsi mêlé à ceux des chouans et des assassins. Mais le vainqueur de Hohenlinden ne voulut pas s’humilier en acceptant une grâce accordée par un homme qu’il regardait comme son égal et non son souverain. Ce refus compliquait très sérieusement le procès qui commençait.

Un sénatus-consulte du 28 février supprima le jury, et la procédure fut portée devant le tribunal criminel de Paris. Le soir même, Pichegru, découvert, était incarcéré.

L’arrestation de Moreau étonnait d’autant plus que l’on n’ignorait pas son attitude vis-à-vis des propositions royalistes. Resté un général de la république, il n’avait pas pris place dans l’état-major-du premier consul : les libéraux lui savaient gré de son indépen-