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émigrés lurent arrêtés, ainsi que MM. de Polignac et de Rivière et enfin George Cadoudal. Mais la pensée que sa vie avait tenu à la présence d’un prince de la maison de Bourbon s’était emparée de l’esprit du premier consul, qui regrettait vivement que le duc de Berry n’eût pas été saisi :

— Les Bourbons, disait-il, veulent me tuer ; mon sang vaut bien le leur, je ferai impitoyablement fusiller le premier d’entre eux qui tombera sous ma main.

Et il ajoutait :

— Je finirai par en prendre un et le ferai fusiller.

Il s’enquérait de tous les princes et du lieu de leur séjour.

On lui parla du duc d’Enghien qui résidait à Ettenheim, dans le duché de Bade. Voisin de Strasbourg, n’avait-il pas des relations avec la France et les émissaires anglais, qui, sur cette frontière, aidaient de leurs conseils et de leur argent la turbulence d’un petit groupe de réfugiés ? On dépêcha quelqu’un à Ettenheim pour se procurer des renseignemens sur le prince, ses habitudes et son entourage. D’après son rapport, il menait une vie tranquille ; fort attaché à une princesse de Rohan, il n’était pas en commerce ordinaire avec les autres princes ; on croyait qu’il se risquait parfois à Strasbourg pour passer la soirée au théâtre. Mais, circonstance importante parmi ces détails insignifians, le prince, disait-il, avait auprès de lui le général Dumouriez. C’était une méprise. Le nom de Thumeri, émigré français de la suite du duc d’Enghien, prononcé par des Allemands, sembla à l’homme de police : « DUMOURIEZ. »

Dès lors, le premier consul crut ou feignit de croire ce document. Il supposa un complot qui n’avait rien de commun avec celui tramé en Angleterre. Puisque le duc d’Enghien s’absentait parfois d’Ettenheim, qu’il venait à Strasbourg, ne pouvait-on pas craindre que, poussant jusqu’à Paris, il ne donnât le signal attendu par Cadoudal ? .. Bonaparte convoqua un conseil, composé des deux consuls, des ministres et de Fouché. Il demanda leur avis sur un projet ou plutôt une résolution déjà arrêtée dans son esprit. Cambacérès, seul, se montra opposé à ce dessein de se saisir, sur un territoire neutre, d’un prince de sang royal, de le juger et de le fusiller, lorsqu’il paraissait certainement étranger à la conspiration dont on connaissait les auteurs. Le premier consul n’entra point en discussion et ne sut pas mauvais gré à M. Cambacérès de ces observations.

— Je ne veux pas me laisser tuer sans me défendre, déclara-t-il, je vais faire trembler ces gens-là et leur enseigner à se tenir tranquilles.

Une note diplomatique fut rédigée d’avance pour le grand-duc