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que rien n’y préparait. Les cruautés révolutionnaires, les échafauds de la Terreur, ne survinrent pas tout à coup. Les convulsions populaires, des actes de violence, précédèrent les crimes du pouvoir. Or, on vivait depuis quatre ans sous un régime raisonnable, régulier, despotique peut-être, mais dont l’honneur était d’avoir repoussé les exemples de la révolution. Le prestige s’évanouissait soudainement, quelle illusion on s’était faite sur le premier consul ! De quoi était-il capable ! Qu’allait-on devenir, si, avec son immense puissance, il entrait dans les voies de la cruauté ? On se figurait la guillotine relevée et le sang répandu à flots. Devant l’exaltation des esprits, la police laissait un libre cours à ces imprudentes paroles, il n’y eut aucun incident motivé par des propos séditieux, on n’avait pas sans doute prévu ce soulèvement. Sur ces entrefaites, on apprit que Pichegru venait d’être trouvé mort dans sa prison, le public se refusa à croire au suicide.

Le premier consul considérait de plus en plus indispensable la transformation de la république en monarchie héréditaire. Ce n’était pas par une ambitieuse vanité qu’il désirait ceindre la couronne impériale ; elle lui paraissait nécessaire pour réaliser la grande destinée qu’il avait toujours rêvée. Pour conquérir l’Europe, il fallait être empereur ! Le moment venu, le sénat en prit ouvertement l’initiative. Il répondit à la communication faite sur la complicité du ministère anglais dans la conspiration : « Ne différez point, grand homme ; achevez votre ouvrage en le rendant immortel comme votre gloire. » Bonaparte répliqua qu’il réfléchirait au moyen de calmer les sollicitudes du sénat.

Le conseil d’État fut consulté. Napoléon assistait à la discussion. Un seul conseiller, Berlier, parla contre l’hérédité. Après quatre séances, l’empire fut voté par vingt voix contre six. Il sembla important d’avoir l’avis du tribunat. Dans cette création de l’empire, tout était réglé, les rôles distribués, les opinions assurées d’avance. Ainsi, au tribunat, on en dévolut la proposition à un conventionnel, M. Curé, appuyé par M. Siméon, désigné lui-même, en 1797, comme ministre de Louis XVIII, en cas de contre-révolution. Enfin, le 17 mai 1804, le consul Cambacérès porta au sénat le projet de sénatus-consulte qui instituait Napoléon Bonaparte empereur des Français, et établissait l’hérédité. Dès le lendemain, cette nouvelle constitution fut adoptée ; et aussitôt après, l’assemblée tout entière se rendit à Saint-Cloud. Cambacérès, qui l’avait présidée, présenta à l’empereur l’acte constitutionnel.

— J’accepte le titre que vous croyez utile à la gloire de la nation, je soumets à la sanction du peuple la loi de l’hérédité, j’espère que la France ne se repentira jamais des honneurs dont elle environnera ma famille.