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La forme universitaire qui unit en un même faisceau toutes les branches du savoir humain, comme sont unies en fait toutes les puissances de l’esprit et tous les phénomènes de la nature, est pour le développement et le progrès de la science, un milieu autrement favorable que des Facultés séparées. La Faculté isolée ne s’ouvre que sur un côté de la science et des choses. Dans le savoir total, elle ne voit que le fragment qui est sien ; du reste, elle ne prend ou ne reçoit que ce qui peut contribuer à son objet. Il en résulte fatalement qu’elle est spécialiste et professionnelle et que la rigidité est pour elle un état inévitable, et souvent aussi la stérilité. Souvent, en effet, sauf dans les mathématiques, ce n’est pas du dedans d’une science constituée que sortent les germes par lesquels elle se développe et se renouvelle, mais des alentours, des sciences circonvoisines. Voyez la médecine. C’est d’elle-même qu’elle a tiré l’auscultation. Mais, c’est d’ailleurs, de la chimie, de la physique, de la biologie que lui sont venues les méthodes expérimentales, qui pénétrant en elle, souvent malgré elle, en ont changé la face. Voyez aussi le droit. Longtemps la méthode en avait paru fixée d’une façon immuable, sur un type géométrique. Il s’y fait cependant, depuis un certain temps, de notables transformations sous l’influence de l’esprit historique. Mais ce n’est pas du droit lui-même, c’est d’ailleurs qu’a soufflé cet esprit.

Et puis, n’est-il pas dans le savoir humain des parties aux frontières indécises, comme la géographie, l’histoire, la philosophie elle-même, qu’on peut traiter tantôt comme une section des lettres, tantôt comme un chaînon des sciences ? Les placer à demeure fixe, en vertu d’une organisation conventionnelle, soit à la Faculté des lettres, soit à la Faculté des sciences, n’est-ce pas les condamner à d’inévitables arrêts de développement ? Enfin, entre les confins des sciences se rencontrent parfois les coins les plus fertiles. C’est là que se forme, comme dans la dépression des vallées, l’humus le plus fécond ; c’est là souvent que germe et que pousse avec le plus de vigueur, la moisson nouvelle. Dans le régime des Facultés isolées, il n’y a pas de ces coins-là.

Tout autre est la forme universitaire. L’idéal serait qu’elle fût modelée sur la classification naturelle des sciences. Nulle part, il n’en est ainsi, parce que partout elle s’est développée historiquement. En France, pas plus qu’ailleurs, il n’en sera ainsi, parce que les facteurs dont se feront les Universités sont donnés depuis longtemps. Mais dans l’Université, les Facultés, tout en restant individuelles, ne sont plus compartimens étanches et impénétrables. Comme ceux des fruits cloisonnés, ces compartimens distincts ont des parois communes et perméables, et tous s’ouvrent sur le même